Revue des Colonies: a Digital Scholarly Edition and Translation

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REVUEDESCOLONIES, RECUEIL MENSUEL DE LA POLITIQUE, DE L'ADMINISTRATION, DE LA JUSTICE, DE L'INSTRUCTION ET DES MOEURS COLONIALES, PAR UNE SOCIÉTÉ D'HOMMES DE COULEUR DIRIGÉE PAR C.-A. BISSETTE. N°5Novembre. PARIS, AU BUREAU DE LA REVUE DES COLONIES, 46, RUE NEUVE-SAINT-EUSTACHE 1834.

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REVUE DES COLONIES. ÉTAT SOCIAL AUX COLONIES. L'état social actuel des colonies françaises, notamment de la Martinique et de la Guadeloupe, présente un spectacle affligeant pour les amis de l'humanité. D'une part, le colon blanc, avide et cruel possesseur d'hommes ; de l'autre, le nègre, l'esclave, non seulement faisant partie, corps et âme , de la richesse de son maître, mais encore accroissant chaque jour cette richesse à la sueur de son front ; telles sont les deux grandes divisions, les deux éléments principaux de la constitution sociale de nos colonies. Auprès de ces deux grands intérêts, celui du maître et celui de l'esclave, tous les autres paraissent secondaires ; car l'homme de couleur libre n'a du moins à souffrir que du préjugé et de l'injustice des hommes investis des divers pouvoirs civils et judiciaires. L'esclave, au contraire, est esclave, et ce mot dit tout : il est constamment assujeti à un régime disciplinaire qui ne dépend en grande partie que du caprice du maître. C'est à peine si le gouvernement a enlevé à celui-ci le droit de vie et de mort sur cette propriété en chair et en os que l'iniquité ou la faiblesse métropolitaine seule peut sanctionner encore. Aussi est-ce l'esclavage, on l'a compris, dont, avant tout, nous voulons l'abolition. L'esclavage est à nos yeux la honte et tout ensemble la plaie de nos colonies ; il est la base d'un ordre social où l'humanité est foulée aux pieds, et duquel sont nécessairement bannis tous les principes saints pour lesquels la révolution française s'est faite, et dont le but extrême et glorieux est l'association universelle des hommes par la liberté et l'égalité. Le principe de ce régime, au milieu des influences qui de toutes parts le combattent, perd heureusement chaque jour de sa force, et le temps ne saurait être bien éloigné où il faudra que les privilégiés cèdent la place à l'esprit progressif du siècle et au génie de l'humanité. L'affranchissement viendra, quelque résistance qu'on lui oppose ; il viendra par la loi ou par la force, mais il viendra. S'il en était autrement, il faudrait n'avoir plus foi aux signes des temps. L'universelle sympathie qu'inspire la cause des noirs, de ce

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côté-ci de l'Atlantique ; l'horreur générale qu'on y éprouve pour l'infâme trafic de la chair humaine, et plus que cela même, la révolution sociale qui s'opère en Europe et qui tend à superposer l'homme à la propriété, tout nous assure de l'avenir.
Que ce soit donc par les progrès de la civilisation, par l'affaiblissement des préjugés, par l'intervention toute-puissante de la métropole que l'esclave doive arriver à l'affranchissement, ou par sa propre volonté et sa propre force, toujours est-il que l'égoïsme monstrueux des maîtres sera prochainement vaincu. Cela ne fait pas pour nous l'objet d'un doute. Toutefois, il nous serait doux, nous en convenons, que, pour l'honneur de notre patrie natale, le progrès y fût plus ou moins l'oeuvre pacifique de tous, et que le privilegié n'attendit pas d'avoir la main forcée pour rendre l'esclave a son droit. Nous l'avons déjà dit, il y a ici pour le privilégié un beau et noble rôle à jouer. On ne saurait plus prétexter cause d'ignorance : les voies et moyens ne sont plus un mystère pour personne. A À quelques lieues de vous, à la Dominique, à Sainte Lucie, à Antigues, à Saint-Vincent, à la Grenade, à Tabago, à la Trinidad, partout, dans les colonies appartenant à la Grande Bretagne, le progrès s'est accompli, non sans quelques troubles, inséparables de tout grand changement, mais sans aucun de ces malheurs que les ennemis de l'émancipation s'étaient plu à prédire. Les documents viennent de toutes parts au secours de la philantropie. Quel prétexte encore, quels mauvais sophismes à faire valoir contre l'affranchissement ? A À ces banales raisons : Que deviendraient nos fortunes, nos existences ? que deviendront les colonies mêmes ? à tout cela, le droit et le fait aujourd'hui répondent péremptoirement. Une récente expérience prouve, ce nous semble, que ce ne sont là que de misérables et mauvais dires de privilégiés, d'exploiteurs d'hommes. Les colonies anglaises n'ont pas péri encore, que nous sachions, et il est même probable que quelques-unes vont atteindre, sous l'empire du nouveau bill, un degré de prospérité de beaucoup supérieur à celui où elles étaient parvenues sous l'ancien régime. De quoi donc s'agit-il ? La question est fort simple : de rendre à la liberté et au bonheur une masse considérable d'hommes, au prix de justes sacrifices imposés à quelques familles de maîtres et seigneurs, lesquelles absorbent en elles tout le bonheur et toute la

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liberté de plusieurs milliers d'hommes, pour être, elles, plus libres et plus heureuses ; de dépouiller, par une loi réparatrice, ces détenteurs de chair humaine de leurs injustes et atroces prérogatives, ou d'en obtenir l'abandon de leur bon vouloir, s'il est possible, par voie de concession.
C'est là tout à la fois le moyen et le but. Par l'abolition de l'esclavage en effet et par le retour des hommes des deux races aux principes de la fraternité, la politique des colonies change de face. Au lieu de cette odieuse dénomination de maîtres et d'esclaves, il n'y a plus que des citoyens d'une même patrie, que des hommes se livrant, sous la protection du droit commun, aux travaux de diverses natures sans lesquels il n'y a ni bien-être ni gloire pour les sociétés. C'est par là seulement enfin que les colonies peuvent espérer d'arriver avec rapidité à une civilisation égale à celle de la mère-patrie.
COUP-D'OEIL SUR LES HABITATIONS A LA GUADELOUPE. L'aspect qu'offrent les habitations indique promptement à l'observateur philosophe le génie qui préside à leur administration. Les cases des nègres, construites en planches clouées sur des poteaux, ou composées de claies qui soutiennent un torchis de terre grasse, sont placées en ligne et à portée d'être surveillées par le propriétaire ou par le géreur. Là, point de meubles, point de provisions. Quelques couis, ou vases de calebasse et de coco, une natte pour y étendre des membres raidis par le travail et tout meurtris de coups, et un mauvais banc, telles sont les pièces dont se compose ce triste mobilier. La case principale, placée à peu de distance de celle des nègres, est occupée par le maître. C'est là que ce prétendu pacha berce son orgueil, satisfait ses fantaisies et ses honteux caprices, et lance les arrêts de ses fureurs. C'est le plus dégoûtant séjour de l'ignorance, des préjugés grossiers et des passions les plus violentes. La fatuité aristocratique qui tourmente en général les créoles est risible au dernier point. Un garde-chasse autrichien s'y fait passer pour ex-grand-veneur ; le fils d'un barbier ou d'un saltimbanque y parle de sa généalogie, des parchemins et des guerres de ses

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ancêtres. J'ai vu là le petit-fils d'un paysan des Basses-Alpes qui, infatué de la jolie fortune que son père avait gagnée en qualité de procureur, ce qui me dispense des explications à cause du pays et de l'époque, affichait le gentilhomme, singeait le grand seigneur, et poussa même le ridicule jusqu'à se décorer de la croix de Malte, qu'un avis de l'autorité lui fit bientôt quitter. Devenu acquéreur d'une petite propriété appelée Beauvoisin, ce nom lui parut sonore, et il l'adopta en l'ajoutant au sien. Les malins rirent tant du contraste de ce nom de Beauvoisin avec le caractère et la physionomie de celui qui le portait, qu'il fut obligé de l'abandonner et d'en revenir à son modeste nom plébéien.
Les colons se targuent de leur notabilité ridicule, et sont chargés de dettes, au point qu'ils seraient dépouillés de tout si l'expropriation, si longtemps désirée et attendue, était enfin admise. Ils étalent du luxe et ne paient pas les plus légitimes salaires. Avant l'organisation judiciaire, ils recevaient à coups de bâton les ouvriers qui venaient réclamer l'argent dû à leurs pénibles travaux et nécessaire au soutien de leurs familles. J'ai vu des habitants notables, ce nom leur convient ici, tapisser leurs appartements avec les lettres de leurs créanciers ou les assignations qu'ils recevaient. À table, vidant le champagne, ces joyeux convives, dont la loi protège la mauvaise foi, portent des toasts à la patience et au nombre des créanciers. On se dispute à qui aura reçu plus de demandes importunes dans la semaine, assignations, significations et saisies ; c'est à qui mieux mieux ; les tours joués aux recors et les mensonges dont on a payé les porteurs de billets ou autres titres sont des sujets intarissables de conversation. Vit-on jamais un dévergondage semblable ? Dans toutes les habitations sont bâtis des réduits où vont languir tour à tour les noirs qui ont encouru le déplaisir de leurs maîtres. C'est un cachot étroit, obscur, humide, où le corps ne peut ni se tenir droit ni s'allonger à terre, supplice affreux, digne des cannibales qui l’ont inventé et qui y condamnent les victimes de leurs caprices. Une boutade les y fait jeter, une boutade les y fera dépérir de besoin et de douleur. Les nègres des champs sont encore plus malheureux que ceux de la ville. Ces derniers ont des occasions de se procurer quelque argent avec lequel ils s'habillent plus proprement, car la vanité est

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leur vrai côté faible ; ils peuvent se donner aussi quelques douceurs en tafia ou autres choses. Mais à la campagne, ils se procurent difficilement le nécessaire, et rarement en trouve-t-on qui suffisent à leurs besoins. Ils sont dans une telle indigence que des haillons leur couvrent à peine la moitié du corps. Rien de plus indécent que ces négrillons des deux sexes, qui restent, jusqu'à l'âge de douze ans et au-delà, sans aucun vêtement, même sous les yeux des filles du propriétaire.
Nègres et négresses fument avec une grande passion, qu'ils satisfont à peu de frais, puisqu'ils récoltent eux-mêmes leur tabac. C'est un spectacle singulier que celui qu'offrent ces tourbillons de fumée qui se jouent autour d'une figure féminine. Là, point de ces chansons d'amour ou de patriotisme dont nos paysans et surtout nos Dauphinois font retentir les vallées. Des complaintes, quelques chants allégoriques sur leur sort s'entendent parfois ; ce n'est pas la joie et le bonheur, c'est la douleur qui s'exhale. Le silence de la campagne n'est interrompu que par les lugubres coups de fouets et par les gémissements des patients que leurs bourreaux déchirent. Vous faites souvent des lieues entières sans que ce terrible et barbare son discontinue de frapper l'oreille On appelle roulaisons l'époque des récoltes, comme nous appelons les nôtres moissons et vendanges. Ce sont de rudes moments pour les esclaves : sur pied la nuit et le jour, ils n'ont pas un moment de repos. Dans les sucreries, des tourbillons de fumée s'échappent de cinq chaudières en ébullition, remplissent une vaste pièce sans fenêtres, et les nègres apparaissent à peine à la pâle clarté que projettent des gommes, se tiennent debout devant les chaudières, plus près du foyer, occupés incessamment à faire passer, avec d'énormes cuillers, le vesou (1) d'une chaudière dans une autre. Près de là le cri aigu et monotone du moulin, dont de gros cylindres en fer servent à broyer les cannes, rappelle aux negresses qui le fournissent que, si le sommeil les surprend, une seconde suffit pour leur faire perdre un bras et même la vie. Hélas! ces funestes exemples ne se répètent que trop dans ces travaux meurtriers qui alimentent notre luxe européen. On se plaint de la (1) On appelle vesou le jus exprimé de la canne.

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cherté du sucre des colonies: que serait-ce s'il fallait le payer au prix du sang qu'il fait répandre?
Ce temps des roulaisons donne à la sévérité des maîtres un nouveau degré d'extension. Ils sont continuellement sur pied et marquent leurs rondes nocturnes par des châtiments multipliés. Tantôt c'est le quart entier du moulin qui est fustigé, tantôt c'est celui de l'équipage (1). Je me rappelle avec horreur une de mes premières nuits des colonies : je fus réveillé à trois reprises différentes par les gémissements des esclaves qu'on lacérait à coups redoublés. J'appris le lendemain que le maître s'était mis en fureur contre son atelier, parce qu'une dent du moulin s'étant cassée, les nègres n'avaient pu faire autant de sucre qu'à l'ordinaire. L'avarice et l'orgueil des créoles ne permettent pas aux esclaves de porter des souliers ou autres chaussures ; aussi, des accidents fréquents causent des maux de pieds aux noirs et leur attirent de douloureuses maladies. Tantôt ce sont des épines ou des clous en-one és en-foncés dans les chairs, tantôt ce sont des chiques, pucerons presque imperceptibles qui se glissent sous la peau, pénètrent plus avant, s'y logent, pondent, et occasionnent d'abord un simple chatouillement, puis de graves douleurs, et quelquefois nécessitent des opérations fâcheuses. La mauvaise qualité des aliments et le défaut de chaussures sont la cause de cet horrible gonflement de jambes qui atteint si souvent les nègres et qu'on connait sous le nom d'éléphantiasis. L'avarice du maître spécule même sur le court sommeil de ces infortunés. La cloche a sonné une heure et souvent deux avant le jour, et le fouet aigu du commandeur a retenti trois fois. Les esclaves sortent de leurs cases et s'avancent encore tout exténués des coups et des fatigues de la veille ; ils sont comptés, puis dirigés vers les champs. D'autres sortent du cachot, et, liés deux à deux avec de grosses chaînes, vont également au travail. Les retardataires sont punis depuis quatre jusqu'à dix et quinze coups de fouet. Arrivés dans les champs qu'ils doivent sarcler, ou fouiller ou planter, on les met en ligne. Les commandeurs se pla- (1) Les colons, habitués au langage des marins, appellent quart la réunion des negres qui desservent le moulin, par équipage on entend les cinq chaudières dans lesquelles on fait cuire le vesou

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cent à peu de distance derrière eux ; au moindre signe de relâche, ils appliquent à un nègre plusieurs coups de fouet, ou bien le tirent du rang, le font coucher et le taillent plus longtemps . Survient-il un grain ou forte ondée, le travail n'en continue pas moins, et l'on ne se retire qu'à la dernière extrémité. Au retour, comme ils manquent de rechanges, ils sont obligés de rester ainsi baignés jusqu'aux os.
Le soir, après le travail, les nègres s'assemblent encore, portant chacun un paquet d'herbes pour les bestiaux. Avant de se retirer dans les cases, le commandeur rend compte à l'habitant ou au géreur, qui, suivant les rapports et d'après sa mauvaise humeur, excitée quelquefois par l'abus du tafia ou par des visites d'huissiers, fait distribuer sans mesure des coups de fouet, condamne les uns cachot, les autres aux fers, ou à un supplément de travail pour le samedi ou le dimanche, seuls jours donnés à ces malheureux pour cultiver le jardin qui leur fournit la nourriture que leur refuse l'avarice de leurs maîtres. La civilisation européenne, en brisant le joug féodal, nous délivra de plusieurs tributs humiliants exigés par les seigneurs avec la dernière insolence ; le droit de prélibation dut surtout armer l'é nergique indignation de nos pères, flétris et frappés par le côté le plus sensible à des hommes d'honneur. Le droit de propriété des maitres sur leurs esclaves leur fait revendiquer cette prérogative de leur position, dont ils abusent avec excès. Dès l'âge de onze ou douze ans, d'ordinaire, les filles du noir sont souillées par ces hommes mariés sous la loi chrétienne, et réputés bons pères et bons époux parmi leurs pareils. Les plus belles des jeunes négresses sont mises en réserve par eux, confiées à une duègne de l'habitation, qui doit les surveiller et bien les garder pour le maître ; mais du reste les rangs des négresses sont parcourus à volonté, et la crainte seule des châtiments et de la colère de leurs tyrans fait qu'elles s'abandonnent à eux à la seule manifestation de leur volonté. Un des plus odieux abus de l'esclavage, c'est l'abrutissement dans lequel, par intérêt, on cherche à maintenir les noirs. On ne tolère rien de ce qui peut leur révéler la dignité humaine et cette égalité à laquelle ont droit tous les enfants de la nature. Le mariage y est proscrit entre nègres, comme contraire au système colonial ; si

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l'on en voit quelques-uns, c'est entre nègres créoles, que leurs maîtres ne veulent pas pousser au désespoir.
Les planteurs veulent que les esclaves n'aient entre eux que des rapports de bestialité, qu'ils ne soient unis que par des conjonctions qu'ils puissent rompre à volonté. Plus ils sont assimilés aux animaux, plus ils sont dégradés, moins ils auront l'idée et le désir de secouer leurs chaînes et de les briser sur les têtes de leurs oppresseurs. C'est d'après ce principe qu'il est défendu, sous des peines sévères, d'apprendre à lire et à écrire aux noirs. Pour affaiblir l'esprit de famille et les affections de la parenté, les enfants sont enlevés à leurs mères dès qu'ils sont sevrés, et confiés à une vieille négresse qui, par sa sévérité, les façonne de bonne heure à la vie dure et pénible à laquelle ils sont destinés. Comme il y en a fort peu qui atteignent un âge avancé, les maîtres ont peu de vieillards à leur charge ; et Dieu sait cependant comment ils s'acquittent envers eux de la reconnaissance qu'ils leur doivent ! Cette rare longévité est pénible, semée d'angoisses et d'amères douleurs. Mieux vaudrait pour eux ne pas avoir poussé si loin les bornes de la vie. Du reste, je le répète, ces exemples sont rares : en les tuant jeunes, on se dispense de les nourrir vieux. X. TANC, ancien magistrat à la Guadeloupe.
LA MARTINIQUE EN 1831. Le loup et le renard sont de mauvais voisins ; Je ne bâtirai pas autour de leur demeure.LA FONTAINE La révolution de juillet avait eu du retentissement à la Martinique ; la Parisienne et la Marseillaise y fesaient faisaient vibrer des fibres africaines : placards affichés, lettres jetées à la porte des cabarets, appelaient les esclaves à imiter leurs frères de Saint-Domingue. Les noirs oublièrent qu'ils étaient sans armes devant une garnison forte et disciplinée, devant une garde nationale nombreuse qui allait combattre pour ses Lares et pour ses foyers. Ils se révoltèrent.

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Le 9 février 1831, à sept heures du soir, l'incendie éclata sur plusieurs points à la fois. En ville, on se rendit maître du feu. À la campagne, les flammes, poussées par un vent violent du nord-est, dévoraient les établissements des sucreries et les vastes plaines de cannes qui les entourent. Une seule habitation était préservée dans un aussi terrible désastre ; c'était celle de la dame Dariste, propriétaire, alors en France. Son géreur s'était armé d'un fusil, avait armé ses nègres de leurs coutelas pour garder toutes les avenues et en défendre l'approche à des incendiaires qui parcouraient la campagne, la torche à la main, disait-on. Une patrouille du 45e régiment de ligne se présente à neuf heures du soir. Le sergent qui la commande est étonné de trouver les nègres en armes. Le géreur de l'habitation le rassure : « "Ce sont tous nègres de l'habitation, dit-il, je réponds d'eux." » À onze heures du soir arrive une seconde patrouille. Ce n'est plus un sergent qui n'a pas peur ; c'est de la garde nationale, sous les ordres du fils de M. le président de la cour royale. Celui-ci ordonné qu'on fasse feu sur les nègres, parce qu'ils n'ont pas voulu que la patrouille pénétrât sur l'habitation avant l'arrivée du géreur ; c'était leur consigne. Quatre sont tués, un plus grand nombre blessés. À la détonation, le géreur est accouru. Il rencontre le capitaine Gorce, du 45e régiment, qui, lui aussi, avait couru sur le feu de la fusillade : « "Vous pouvez vous retirer, lui dit le géreur, ce sont les nègres de l'habitation, je réponds d'eux, je réponds de l'atelier. » Mais le fils de M. le président de la cour royale, chef de la patrouille, s'élance dans ce moment sur Bosc (c'est le nom du géreur). Bosc a été trouvé armé au milieu de ses nègres armés ; donc il est chef d'un vaste complot et ses esclaves sont les complices. Il est lié, garotté et conduit à la geôle de la ville. Ce fut le signal de l'envahissement de l'habitation Dariste, où deux cents hommes se répandent en tous sens, enfoncent les cases à nègres. Les esclaves, hommes, femmes, enfants , arrachés à demi nus de leur cabane, sont conduits au milieu de la nuit dans la geôle de Saint-Pierre par des gens armés qui les chassent devant eux comme un troupeau de bétail.

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Si grand fut le désespoir de ces malheureux esclaves au moment où l'on forçait l'entrée de leurs cases et où ils se croyaient tous dévoués à un horrible massacre, que plusieurs d'entre eux tuèrent leurs enfants pour ne pas les laisser après eux. Le nègre Hyacinthe, tenant son fils en bas âge d'une main et le coutelas levé de l'autre, fut prévenu à temps par des militaires qui s'élancèrent sur lui. Traduit aux assises pour ce fait, il n'eut pas le temps d'y paraître : il mourut à l'hôpital des suites des blessures qu'il avait reçues et qui l'avaient porté à cet acte d'égarement. Une longue instruction, sur 500 esclaves arrêtés, n'en envoya que vingt-quatre devant les assises de Saint-Pierre. C'est dire d'avance qu'ils furent tous condamnés à mort. Vingt-deux allèrent à l'échafaud ; un se sauva miraculeusement ; le dernier, recommandé à la clémence royale, fut gracié De quoi les jugea-t-on coupables ? - D'incendie ? Non, répondit la cour. - De complot ? Non, répondit encore la cour. - Mais de rébellion à la force armée? Oui. Dans quel code trouve-t-on la peine de mort pour ce crime, sans faire observer que la résistance n'a été constatée que par les assaillants , dont aucun n'a été tué ni même blessé ? L'ancien code Pénal, tout barbare qu'il était avant sa révision par la chambre de 1851, ne prononce que les travaux forcés à temps, dans les circonstances les plus aggravantes. Mais il y a un article 54 dans le code noir, édit de mars 1685. Pas un mot n'y est prononcé de rébellion à la force armée ; on y trouve seulement que l'esclave coupable de voies de fait envers un individu libre sera puni très sévèrement et même de mort, si le cas échet. À la Martinique, un texte de loi aussi vague, et qui laisse aux juges une latitude tellement vaste, a envoyé bien des cadavres au cimetière de la Grosse-Roche. C'est cet article qu'on appliqua aux esclaves de la dame Dariste. Le géreur blanc trouvé armé au milieu de ses nègres armés, et criant à tue-tête qu'il est responsable de leurs faits, fut acquitté ! Actuellement, si l'on demande ce que venait faire la force armée sur une habitation où il n'y avait ni complot ni incendie, le procureur-général Nogues va nous l'apprendre : « "L'habitation Da-

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riste, dit l'accusation, est voisine de la ville de Saint-Pierre. Elle fait peu de produits, quoique les esclaves y soient nombreux. Ces esclaves, allant souvent en ville, jouissent d'une liberté qui est un sujet d'alarmes pour les autres habitations.
 »
L'habitation Dariste est limitrophe de celle de M. le président de la cour royale de la Martinique et de celle de l'un des membres de cette même cour. C'est le fils de M. le président de la cour royale qui commandait la force armée. Un géreur est détenu pendant quatre mois en prison. Treize des esclaves chefs d'atelier de cette habitation (le commandeur, le raffineur et les principaux ouvriers) sont mis à mort juridiquement. Un atelier, jadis si heureux et si content, composé de nègres créoles la plupart légitimement mariés, est aujourd'hui démoralisé et frappé de terreur. Le sujet d'alarmes des puissants voisins de la dame Dariste n'a-t-il pas disparu? Quel glaive, bon Dieu, que celui de la loi dans certaines mains ! Les nègres de l'habitation Dariste marchèrent à l'échafaud avec une effrayante résignation et dans un morne silence. Ils eussent appelé leur maître, si bon pour eux, et qui par humanité leur laissait cette liberté, sujet d'alarmes pour leurs voisins ; mais leur maître, leur protecteur était trop loin. Ils en référèrent à la justice divine. Celle-là est plus boiteuse encore que celle du ministère de la marine, invoquée par M. Dariste fils, mais du moins elle arrive un jour. Le géreur blanc a été acquitté. Il n'a échappé à une condamnation que parce qu'il eût porté ce procès devant la cour de cassation et que la France l'aurait connu. Ce SUJET D'ALARMES était aussi important à détruire que les autres. Ne pas accorder un recours en cassation à des hommes condamnés à mort, parce qu'ils sont esclaves, et lorsque leurs juges sont maîtres!... Exécuter à la hâte, à dix-huit cents lieues de la métropole, vingt-deux condamnés à mort, sans donner au roi la faculté d'exercer son droit de grace!...... Et le roi des Français, Louis Philippe, l'avocat de l'abolition de la peine de mort, à qui on a enlevé sa plus belle prérogative, parce que les condamnés sont de malheureux esclaves !..... Voilà bientôt trois siècles que d'épouvantables choses se passent impunément dans nos colonies. Quand M. le ministre de la marine jugera-t-il à propos de dire "ASSEZ" ?

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MESURES DE HAUTE POLICE CONTRE LES HOMMES DE COULEUR DEPORTATIONS ADMINISTRATIVES. Pendant la longue période de chaos législatif qui précéda les ordonnances organiques de 1828, les gouverneurs des colonies s'arrogèrent le droit, nulle part écrit, de départer sans jugement. M. Halgan exerce le même droit ; mais il prétend sans doute l'exercer légalement, par exemple, en vertu de l'article 75 de l'ordonnance du 9 février 1827. Par un arrêté qui vise cet article, M. le gouverneur vient d'ordonner « "que le sieur Valéry-Agathe, domicilié au Vauclin, est exclu de cette commune et qu'il se rendra immédiatement au Fort-Royal pour y demeurer pendant un an SOUS LA SURVEILLANCE DE LA HAUTE POLICE." » Voilà la mesure insultante et vexatoire qu'on a pu prendre contre un homme libre, un père de famille, propriétaire domicilié. Voici sous quel prétexte : Vu la délibération du conseil privé portant « "qu'il y a prévention suffisante contre le sieur Valéry-Agathe, domicilié, sans profession, au Vauclin, d'avoir troublé gravement et à plusieurs reprises l'ordre public par des provocations de duel, des injures et des menaces envers plusieurs habitants de sa commune et des communes voisines, etc. » Voyez le crime énorme ! N'est-il pas proche parent du crime de cet autre citoyen, le sieur William, qui, en vertu d'un arrêté précédent du 5 mars 1835, fut cité aussi devant le gouverneur en conseil, sous la prévention: «  "1° d'avoir provoqué un blanc, le sieur Hardy ; 2° d'avoir tenté de vider sa querelle avec lui en combat singulier ; 3° enfin d'avoir, plus tard, TOISÉ D'UNE MANIÈRE OFFENSANTE le sieur Hardy qui passait dans la rue." » Nous copions textuellement. Pourtant, hâtons-nous de le dire, la citation donnée au sieur William n'eut pas de suite. M. Dupotet, gouverneur d'alors, hésita sans doute devant cette mesure, ou illégale, ce qui probablement le touchait peu, ou ridicule, ce qui peut-être le touchait davantage. Mais le sieur Valéry-Agathe, non pas au moins un duelliste de profession, un homme de désordre, sans profession (ne prenez pas l'arrêté pour mot d'évangile), mais un père de

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famille, marié, domicilié, maître maçon de son état et propriétaire d'une habitation caféyère ; ce citoyen vient d'être, sous un prétexte non moins frivole que celui de M. Dupotet, cantonné par le gouverneur actuel dans la ville du Fort-Royal ; et là, mis sous la surveillance de la haute police pendant un an !
Il est assez évident, pour qui connaît les colonies, qu'une pareille mesure ne sera jamais prise contre un blanc. C'est un privilége privilège réservé aux hommes de couleur et dont on entend les faire jouir exclusivement, comme l'a dit avec tant de bonheur M. le procureur-général Nogues de l'exclusion à perpétuité de la colonie prononcée, dans le procès de la Grand'Anse, contre ceux des condamnés qu'on n'a pas envoyés à la potence ou au bagne. C'est donc aux hommes de couleur à jeter le cri d'alarme. Depuis le triomphe de leurs persécuteurs dans le procès de la Grand'Anse, les passions s'enhardissent ; elles se traduisent en actes de violence arrachés à la faiblesse ou à la complicité du gouverneur. Après la décimation par la potence et les bagnes, par les procès de conspiration, c'est une loi de suspects que l'on fait et qu'on exécute par la déportation administrative. Le sieur Valéry-Agathe en est la première victime. Où s'arrêtera-t-on dans cette voie d'arbitraire effrayant ? Assurément, on pouvait croire éteints beaucoup des pouvoirs dits extraordinaires du gouverneur, notamment celui dont il fait usage envers le sieur Valéry-Agathe. Les mesures de haute police et de sûreté générale à prendre en vertu des pouvoirs extraordinaires doivent être réglées par une loi. C'est ce que désire cette constitution du 24 avril 1833. Or, c'est toujours sur l'article 73 d'une ordonnance, celle de février 1827, que M. Halgan fonde son droit prétendu. On peut dire sans doute, en argumentant de la nécessité politique ou gouvernementale, que, jusqu'aux lois à intervenir, les ordonnances doivent continuer de s'exécuter. Mais les raisons qu'on admettrait peut-être à l'égard des dispositions de première nécessité, pour ainsi dire, sans lesquelles il n'y aurait pas d'admi nistration possible, peut-on les concevoir pour des dispositions mortes immédiatement et qui doivent pas trouver place dans la révision législative du régime organique des colonies, notamment pour cette faculté, s'exerçant sous le bon plaisir du gouverneur, de parquer les citoyens dans un lieu déterminé, sous les plus fu-

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tiles prétextes ; de les y soumettre à la surveillance de la haute police ; de les arracher même à leurs familles, à leurs pays, par l'exil hors de la colonie ? C'est là pourtant l'article 75.
Il établit des peines et ne détermine pas les faits punissables. Rien de positif, rien de défini ; tout est laissé au caprice et à l'arbitraire. Un acte quelconque de la vie privée ou publique d'un citoyen, même le plus paisible, si on veut se débarrasser de lui, peut motiver l'imputation vague d'avoir compromis ou troublé la tranquillité. « "Ils m'appellent tison d'enfer ; que voulez-vous que je leur réponde ? disait Pascal » . Que voulez-vons aussi que réponde un homme à qui l'on affirme qu'il a troublé ou compromis la tranquillité publique et qu'il y a contre lui prévention suffisante, en d'autres termes soupçon véhément? Législateurs, voterez-vous ces monstruosités ? Enfin c'est la mise en surveillance de la haute police qu'autoriserait l'ordonnance, c'est-à-dire une peine infamante, définie par le code Pénal, accessoire obligé des condamnations les plus flétrissantes, et qui contraint le suspect surveillé à faire ignominieusement acte périodique de présence au bureau de police. Cette peine, elle est infligée par le gouverneur, substitué aux juges naturels du prévenu. Vainement y a-t-il des lois répressives, des codes criminels pour atteindre et punir régulièrement les délits spécifiés que ce prévenu peut avoir commis. Le gouverneur aime mieux le frapper administrativement et procéder par la déportation sans jugement ! Législateurs, voterez-vous ces monstruosités ? Non, la conscience publique nous en répond. Comment donc l'ordonnance pourrait-elle s'exécuter comme provisoire d'une loi qui n'existera jamais ? Le sieur Valéry-Agathe s'est régulièrement pourvu auprès de M. le ministre de la marine pour faire rapporter l'arrêté qui l'assimile aux forçats libérés. On comprendra, nous l'espérons, tout le danger, tous les abus qui seraient inséparables d'une autorité dictatoriale au service des passions et des haines de castes ou d'individus. On sait au reste si ces passions et ces haines sont vivaces au coeur de certains colons, et si elles abandonnent facilement les victimes qu'elles ont désignées. Tous les magistrats métropolitains suspects

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aux yeux de la faction anti-sociale tant de fois signalée ont été chassés, eux aussi, à coups de fourche et poursuivis jusqu'en France par les ressentiments de leurs persécuteurs ! Plusieurs des déportés de 1824 ont été compris ou compromis dans le procès de la Grand'Anse. Le sieur William, dont nous avons parlé, subit un emprisonnement prononcé contre lui à l'occasion des troubles auxquels donna lieu l'arrestation du sieur Léonce à Saint-Pierre. Enfin le sieur Valéry-Agathe, échappé par miracle à ses assassins du 12 décembre 1851(1), parmi lesquels figurait le commis à la police du Vauclin, et qui le réduisirent, par trois blessures profondes, à une incapacité de travail de plus de vingt jours, le sieur Valéry Agathe devait sans doute expier par des persécutions nouvelles son salut inespéré et le châtiment pourtant si léger de ses trois assassins. Il lui reste la protection de la mère-patrie.
AD. GATINE. Avocat à la Cour de Cassation.
POURVOIS EN CASSATION ET AU CONSEIL-D'ÉTAT RELATIFS A LA COLONIE D'ALGER. La cour de cassation et le conseil-d'état viennent de rendre des décisions opposées sur des recours venant de cette colonie. La cour de cassation d'abord a eu à statuer sur deux affaires différentes dans leur objet, mais qui toutes deux présentaient à juger la question de savoir si antérieurement à l'ordonnance du 10 août 1834, qui vient d'organiser le système judiciaire de cette colonie, le pourvoi en cassation était recevable. Le premier pourvoi était formé par un Français condamné à cinq ans d'emprisonnement pour vol de quatre vaches dans le parc du gouvernement. L'officier du ministère public, près la cour de justice criminelle, le ministre de la guerre et M. l'avocat-général Viger ont pensé que le pourvoi n'était pas recevable, par la raison que la cour de jus-

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tice de la régence ne tenait ses pouvoirs d'aucune loi ni d'aucune ordonnance, mais d'arrêtés du commandant en chef de l'armée d'occupation et de l'intendant civil : "Avant l'ordonnance de 1854, disaient-ils, le territoire de l'Afrique n'était occupé que momentanément, tout était soumis à l'autorité militaire ; celle-ci, par ses règlements , n'avait pas autorisé le recours en cassation, et l'article 15, titre 1er du code militaire du 19 octobre 1791, défend de recevoir le recours contre les décisions rendues par les tribunaux institués par les commandants en chef d'armée ou de corps détachés, qui n'ont fait qu'appliquer les peines établies par leurs arrêtés."
Il a été répondu que la loi de 1791 n'est applicable qu'au cas où l'autorité militaire seule a statué, où ses règlements n'ont eu pour objet que la sûreté de l'armée, où les tribunaux dont les décisions sont attaquées sont des conseils de guerre, où ils n'ont appliqué que des peines militaires ; tandis que, dans l'espèce, il s'agissait d'une cour de justice qui avait statué purement sur un fait étranger à la sûreté de l'armée, à l'égard d'un Français cultivateur, par application du code pénal ordinaire, d'après les formes instituées par le code de procédure criminelle, en vertu de règlements auxquels l'autorité militaire seule n'avait pas participé, puisque l'intendant civil y avait eu part; qu'enfin l'ordonnance royale du 1 décembre 1851, signée par Casimir Périer, alors président du conseil des ministres, avait fait cesser les pouvoirs attachés à une occupation purement militaire ; que le recours en cassation est une garantie constitutionnelle pour tous les Français, et qu'il existe de plein droit toutes les fois qu'il n'est pas légalement interdit, comme il l'a été pour quelques-unes des colonies, telle que l'île de Bourbon. La fin de non-recevoir a en effet été écartée ; et la cour, par un arrêt du 16 octobre, au rapport de M. le conseiller Isambert, a procédé à l'examen du pourvoi de Raboille, qu'elle a rejeté par un moyen de forme puisé dans le code d'instruction criminelle. Les pièces de cette affaire avaient été retenues pendant une année. La seconde affaire était une requête présentée à la cour par Sidi Hamden Hamdan Khodja, musulman, domicilié à Alger, traduit pour diffamation devant les tribunaux de la régence, par le maréchal

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Clauzel
, par suite de la publication faite à Paris d'un ouvrage sur l'administration du pays conquis.
Sidi Hamden Hamdan se plaignait vivement de ce que le maréchal, résidant en France, n'ait pas demandé la réparation qu'il prétend lui être due, devant les tribunaux de Paris, où lui, Sidi, était lui-même résident, et où le livre a été publié. Il décline la juridiction des juges d'Alger, qui, dit-il, sont les créatures du maréchal, et dont l'un aurait forcé Sidi Hamden Hamdan de lui louer pour soixante ans une vaste maison qu'il possède à Alger. Selon le demandeur, dont les griefs ont été exposés avec éloquence par M. le conseiller Bresson, il n'y a pas générosité, il n'y a pas justice à vouloir que le délit prétendu soit jugé par des juges d'exception ; tandis que s'il se plaignait à son tour des injustices qu'il a éprouvées, il ne pourrait traduire M. le maréchal Clanzel Clauzel que devant les tribunaux français. M. l'avocat-général Viger a dit que dans les autres colonies, les causes de suspicion sont jugées par le conseil privé de chacune d'elles, et non par la cour de cassation ; que c'est une chose d'administration ; que sous l'empire de l'ordonnance du 10 août 1834, qui s'en réfère, pour les cas où le pourvoi est admissible en Alger, aux lois judiciaires organiques des autres colonies, il en serait ainsi ; qu'à plus forte raison, le recours était inadmissible alors que l'instance entre le maréchal Clauzel et Sidi Hamden était née antérieurement. Malgré ces raisons, la cour, par un second arrêt du 16 octobre, a reçu la requête de Sidi Hamden, et elle en a ordonné la communication tant au maréchal Clauzel qu'au procureur-général près la nouvelle cour de justice qui a été installée à Alger, le 1 septembre, et elle l'a ordonné avec la clause toutes choses demeurant en l'état, qui annule tous les jugements qui seraient intervenus depuis le dépôt de la requête en suspicion. Le conseil d'état, à son tour, a été saisi de trois recours, l'un de M. Cappé, avocat ; l'autre du même Sidi Hamden, et le troisième d'un fournisseur, qui se prétendait lézé par des décisions du conseil d'administration de la régence. M. le baron de Gerando était le rapporteur de ces trois requêtes qui étaient jointes. À l'audience du samedi 18 octobre, il a été lu une ordonnance du roi qui rejetait les trois recours, par le seul motif que, avant l'ordon

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nance du 10 août 1834, la possession d'Alger n'était pas arrivée à l'état de colonie, et que, par suite, aucun recours des actes des autorités locales ne pouvait être admis.
Par ces décisions de la cour de cassation et du conseil d'état, on voit la différence existante entre la justice inamovible et la justice rendue par des hommes choisis par les ministres et révocables à leur volonté. Si, en 1824, le pourvoi des hommes de couleur de la Martinique avait dû être porté au conseil d'état, et non devant la cour de cassation, il y a gros à parier que ces messieurs du conseil ne se seraient guère plus embarrassés que dans cette affaire de trouver de bonnes raisons pour le rejeter sans délibérer.
AFFAIRE D'HAITI. La situation intérieure d'Haïti est toujours satisfaisante sous le rapport du respect de la population pour les lois et de la bonne harmonie des pouvoirs de l'état ; mais sa prospérité reste en souffrance par sa position équivoque vis-à-vis de la France, qui l'oblige à conserver un grand état militaire. Tout le monde sait que la loi de floréal an 10, qui rétablit l'esclavage dans les colonies, fut le signal de la défection de tous les chefs de Saint-Domingue ; les hommes de couleur, jusque là si grands partisans de la métropole, pour laquelle ils avaient depuis l'origine des troubles tout sacrifié, se réunirent aux noirs, qui leur avaient fait une guerre si désastreuse, sous le commandement de Toussaint-L'Ouverture. Le capitaine-général Leclerc, beau frère de Napoléon, par la vaillance des troupes qu'il commandait et par les garanties personnelles qu'il offrait de la liberté des noirs, après les proclamations équivoques du premier consul, était par venu à ramener plusieurs des généraux noirs et à forcer Toussaint-L'Ouverture à capituler. Ce dernier paraissait si redoutable dans l'habitation où il s'était retiré qu'on le fit arrêter et déporter en France, où il est mort misérablement, dans le fort de Joux, comme Napoléon lui-même à Sainte-Hélène. La nouvelle de la sanction de la loi liberticide de floréal coïnci

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dait avec le désarmement général ordonné par le capitaine-général Leclerc. Pétion, l'un des plus accrédités parmi les chefs de couleur, organe des mécontentements de sa classe, qui avait vu avec indignation déporter le général Rigaud, son émule et son ami, fut un des premiers à donner le signal de la défection. Il fut imité par les généraux Belair, Christophe, Dessalines. L'armée de Saint Domingue, presque anéantie par la fièvre jaune, ne put résister à ce mouvement général, et ce qui restait de Français, après la mort de leur capitaine, évacuèrent le cap, dernière place demeurée en leur pouvoir, le 28 novembre 1803.
À cette époque, les chefs des deux partis noirs et mulâtres se réunirent pour déclarer l'indépendance de Saint-Domingue sous le nom antique d'Haïti ; ils organisèrent un gouvernement dont Dessalines fut le chef. Les cruautés et l'ambition de ce général lui coutèrent la vie. Il fut remplacé par Christophe, qui établit le système monarchique, dans le nord, et par Pétion, qui conserva le régime républicain, dans l'ouest et le sud. Boyer, successeur de Pétion, à la mort de Christophe, rallia sous le drapeau de la République le petit royaume du nord, et, avec le reste de l'île, c'est-à-dire la partie espagnole cédée à la France par le traité de Bâle de 1795, fit d'Haiti un tout homogène. La France n'avait pas reconnu ces gouvernements ; mais dès 1814, Louis XVIII avait essayé de leur susciter des embarras, afin de se préparer les moyens de recouvrer cette ancienne colonie, et les circonstances étaient favorables. Les succès pacifiques du président Boyer et l'union des Haitiens firent échouer toutes ces sourdes menées. A l'avènement de Charles X, le ministère Villèle résolut d'employer les loisirs de la paix à tenter une expédition. En 1825, une petite escadre, commandée par le capitaine de vaisseau Mackau, se présenta dans la rade du Port-au-Prince, munie d'une ordonnance, en date du 18 avril, par laquelle le roi de France reconnaissait aux Haïtiens, moyennant 150 millions de francs, l'indépendance dont ils étaient en possession incontestable depuis vingt et un ans, et dont la possession contestée n'en avait pas moins été réelle de 1793 à 1804, sous la domination de Toussaint-L'Ouverture. Cette ordonnance était calquée sur la charte de 1814. On faisait

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concession à la nation haitienne de son indépendance acquise au même titre qu'on avait concédé aux Français d'Europe les droits dont la révolution les avait mis en possession.
Le gouvernement d'Haïti repoussa avec fierté ces prétentions de suzeraineté et rejeta d'abord l'ordonnance. M. de Mackau donna par écrit les garanties les plus formelles qu'il n'y avait pas d'arrière pensée dans la concession d'indépendance. Haiti accepta l'ordonnance, comme la France accepta la charte de 1814, avec la ferme volonté de faire valoir comme un droit absolu ce qu'on daignait concéder. En accordant qu'il était équitable d'indemniser les anciens propriétaires blancs, dépossédés violemment, et auxquels la constitution haïtienne interdit la possession de toute propriété immobiliaire sur le sol qu'ils avaient tenu pour esclave avec ses habitants , Haiti reconnut le principe, mais réclama contre le chiffre. Le président Boyer écrivit à Charles X une lettre qui n'a pas été publiée et qui contient à cet égard une demande formelle de réduction. Une troisième clause de l'ordonnance était l'accord d'un traité de commerce par lequel la nation française serait mise au rang des nations les plus favorisées. Il y avait même une clause favorable au commerce des autres nations qui paraissait incompatible avec le privilège réclamé par la France, et qui avait été insérée dans l'ordonnance sans doute afin de ne pas être traversé traversée dans l'exécution par la Grande-Bretagne. Haïti a eu tort sans doute, comme état indépendant, de délibérer sur une ordonnance et de ne pas exiger la forme d'un traité ; mais sa position vis-à-vis de la France était exceptionnelle : les souvenirs en Haïti sont français, et tout porte à croire qu'elle fera les plus grands efforts pour conserver la bonne harmonie avec la France. Le traité de commerce a été négocié en France, par trois commissaires, avec le ministère français. La convention qui en est résultée, le 31 octobre 1825, n'a pas été publiée, parce que le président Boyer a refusé de la ratifier, comme contenant des clauses contraires à la souveraineté d'Haïti. Depuis cette époque, toutes les négociations ont échoué. Pour acquitter l'indemnité, Haïti a fait un emprunt de 24 millions, lequel, avec 6 millions par elle versés au trésor, ont effectué le paie

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ment du premier cinquième. Elle n'a pas remboursé les cinquièmes échus depuis, et n'a pas payé au porteur des bons de l'emprunt de 24 millions ni les annuités échues ni les intérêts.
Elle attribue l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée à une crise financière qui a éclaté à la fin de 1825, ce qui l'a forcée à faire une émission de papier-monnaie, les espèces haïtiennes ayant perdu de 60 à 40 pour cent de leur valeur nominale. Elle espérait que l'exploitation des mines d'or et d'argent, qu'on suppose exister dans la partie de l'est et du nord-est, produirait de grandes ressources. La compagnie anglaise qui s'était offerte n'a rien obtenu. Enfin elle espérait obtenir pour les produits de son agriculture des débouchés correspondant à l'ancienne richesse de Saint-Domingue; mais elle ne peut lutter contre les privilèges que la France accorde à ses colonies, et ses denrées ne peuvent paraître qu'avec désavantage sur nos marchés si elles restent soumises aux droits de douane. On avait, en 1825, accrédité le bruit que le gouvernement d'Haïti avait des trésors cachés. L'histoire rapporte en effet que Toussaint-L'ouverture, avant sa chute, avait caché dans les mornes des trésors que les Américains faisaient monter à 200 millions, et que les estimations les plus modérées réduisaient à 35. Toussaint, pendant son séjour en France, a toujours nié l'existence de ces trésors, et peut-être est-il mort victime de cette croyance. La vérité est que les finances d'Haïti sont dans un fort mauvais état. Le sol produit peu en comparaison de l'idée qu'on s'en fait, parce que les cultivateurs, contents de peu, ne sont pas très empressés de se soumettre comme des esclaves à des travaux pénibles pour assouvir la cupidité européenne, et parce que d'ailleurs le défaut de débouchés paralyse la production. Le gouvernement d'Haïti aujourd'hui demande la réduction de sa dette de 120 millions à 45, payable en 43 annuités, ou 10 millions comptant. Le comité central des anciens colons paraîtrait se contenter du quart comptant, c'est-à-dire de 30 millions. En attendant, les négociations sont suspendues ; il y a presque rupture entre les deux pays ; on menace même sourdement le gouvernement d'Haïti de l'envoi d'une nouvelle escadre pour demander satisfaction par les armes de sa dette différée depuis neuf ans.

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Les Haïtiens, d'un autre côté, paraissent prêts à tous les sacrifices, même à incendier leurs villes, plutôt que de céder à la force. Dans une position semblable, le gouvernement ne devrait-il pas s'expliquer ? Dans la session de 1854, un député avait demandé des explications sur l'état des négociations ; on avait renvoyé ces explications au budget de la marine. Elles n'ont pas été de nouveau provoquées ; le ministère a gardé le silence. Il est probable que la session prochaine ne se passera pas sans que la question ait été abordée sérieusement. Pour nous, notre avis est qu'Haïti est fondée en sa demande ; que son accession à l'ordonnance de 1855 a été toute de bonne volonté et de conciliation, mais mal calculé calculée d'après les ressources du pays. Sans peine de ruine, il est impossible à la République de tenir ce qui lui a été arraché par la politique. Qu'elle souffre par un épuisement démesuré de ses richesses ou par la guerre, il nous serait difficile de décider le quel lequel de ces deux partis lui vaudrait le mieux.
SOCIÉTÉ BRITANNIQUE ET ÉTRANGÈRE POUR L'ABOLITION UNIVERSELLE DE L'ESGLAVAGE. L'esprit d'association est surtout d'une irrésistible puissance quand il a pour mobile un principe social ou politique. Du moment qu'il prend cette direction, il purifie et exalte l' ame âme , il développe en elle les sympathies les plus vives et les sentiments les plus généreux. Ce n'est point alors par un calcul égoïste et dans un intérêt personnel qu'on grossit la masse commune de l'entreprise de sa part d'intelligence, d'activité et de fortune : on s'oublie soi-même, on sacrifie ses propres avantages, tout préoccupé qu'on est du désir de se rendre utile aux hommes. On ne s'efforce point de tirer de nouvelles richesses du sol ni d'exploiter les récentes découvertes de la science dans un objet de pure spéculation : ce sont les esprits et les passions mêmes des peuples qu'on s'attache à remuer et à diriger dans un but d'amélioration morale ou d'affranchissement politique. Et au plus fort des difficultés et des périls dont cette

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religieuse mission est remplie, on est soutenu par une foi vive à l'avenir de l'humanité.
Ces réflexions nous ont été suggérées par les travaux de la célèbre Société anglaise de l'anti-esclavage. Depuis plus de trois siècles, l'usage d'employer des esclaves d'origine africaine à l'exploitation des colonies avait reçu une sanction légale chez tous les peuples maritimes de l'Europe ; et, par une singulière conséquence de cet abus, l'exercice de la traite des noirs, destinée à alimenter les marchés coloniaux, était devenu un principe commun du droit des gens. Que de bénéfices, de privilèges, de préjugés et d'habitudes se rattachaient à la pratique et au maintien de cette odieuse tyrannie de l'égoïsme industriel ? Qui pouvait se flatter, par le seul ascendant de la raison, de ramener les esprits à des idées plus justes, et de trouver assez de richesses pour acheter des exploitants , comme une marchandise, la liberté de la classe déshéritée ? Qui enfin pouvait espérer de rapprocher, par les besoins d'une commune fusion, des hommes invinciblement séparés par le souvenir du passé, l'opposition des intérêts, la différence des conditions et l'antipathie des races? Et cependant la Société de l'anti-esclavage entreprit d'exécuter cette tâche ardue dans toute l'étendue de l'empire britannique, si riche en possessions coloniales. Elle ne se dissimula point qu'elle aurait à lutter contre de prétendus droits acquis, des passions haineuses et des obstacles de toute espèce ; mais elle compta sur l'appui d'un grand nombre d'hommes honorables qui s'étaient ralliés au principe de l'émancipation. Les nombreuses cotisations qu'elle recevait chaque jour lui permirent de tourner contre ses redoutables adversaires tous les moyens de publicité, de remontrance, d'attaque et de flétrissure que lui offrait la presse. Comme plusieurs de ses membres étaient haut placés dans la société, le gouvernement, l'administration, l'église et la littérature, elle pouvait ajouter à l'influence puissante de la discussion celle d'une vaste autorité morale. Elle marcha donc droit à son but avec un zèle, une énergie et un courage que rien ne fut capable d'abattre. Dans l'origine, elle put douter un moment du succès, tant les opinions étaient flottantes ou partagées ; mais bientôt le peuple anglais, ému par de vives prédications et entraîné par l'évidence des faits, se prononça avec une irrésistible force pour l'abolition de l'escla

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vage. Et le parlement de la réforme, digne interprète des sentiments élevés et généreux du pays, vota un emprunt national pour le rachat des esclaves noirs (1).
Il semblait que la dissolution de l'association devait suivre l'accomplissement de l'oeuvre qu'elle avait entreprise. Sa conscience lui disait qu'elle avait assez fait pour l'humanité. Elle devait éprouver le besoin du repos, après les fatigues d'une lutte si longtemps prolongée. Les sacrifices d'argent qu'elle s'était imposés avaient pu d'ailleurs épuiser ses ressources. En effet, une partie de ses membres se retirèrent, alléguant ces motifs ; mais les plus dévoués crurent qu'ils feraient bien de rester unis, puisque le bill d'émancipation leur laissait encore beaucoup à faire. Ils pensèrent qu'ils devaient suivre la grande mesure de l'affranchissement dans toutes ses transformations, éclairer la conduite des maîtres dans leurs nouveaux rapports avec les esclaves affranchis, et protéger ceux ci dans l'exercice d'une liberté encore entravée et sans expérience. D'ailleurs ne devaient-ils point reporter sur les esclaves noirs des colonies étrangères l'intérêt qu'ils avaient dû restreindre d'abord à ceux des possessions anglaises ? Jetez les yeux sur les différentes parties du monde, ont-ils dit ; dans les seules provinces du Brésil et des États-Unis, il y a plus de quatre millions de noirs condamnés à la servitude ; un autre million d'esclaves est disséminé dans les possessions espagnoles, françaises, portugaises, danoises et hollandaises. Sous quelque ciel qu'ils se trouvent, ces infortunés n'ont-ils pas les mêmes droits que leurs frères affranchis à l'égalité politique et sociale ? L'odieuse tyrannie sous laquelle ils fléchissent, quel que soit le pays où elle s'exerce, n'est-elle pas réprouvée au même degré par les lois de la nature et de la morale ? Pouvons-nous leur refuser notre pitié quand nous les voyons vendre, exploiter et accabler comme des bêtes de somme ? Fermerons-nous les oreilles aux cris qui s'échappent de leurs bouches ou de leurs plaies, lorsque des maîtres cruels et capricieux les font déchirer à coups de fouet ou étouffer dans l'horrible nuit d'un cachot ? Dira-t-on que l'abolition universelle de l'esclavage est une pure utopie, une entreprise folle ? Qu'importe qu'on nous traite d'enthousiastes et de visionnaires ; ce sont des reproches auxquels (1) Voyez ce que dit la société elle-même, au sujet des obstacles qu'on lui a suscités, dans son journal The Abolitionist, tome 1, n. 1.

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nous sommes accoutumés depuis longtemps . Avec le secours des hommes généreux, et surtout avec l'assistance divine, cette fois encore nous ne douterons point du succès (1).
Telles étaient les dispositions du comité d'agence (the agency committee) lorsqu'une circonstance inattendue vint donner un nouveau poids à ces considérations. Un message lui fut envoyé de l'autre côté de l'Océan atlantique, par des Américains mus par le même esprit et dévoués à la même cause. Dans les provinces septentrionales de l'Union, des citoyens se sont concertés pour obtenir l'abolition des lois exceptionnelles, qui tiennent dans un état de servitude ou de dégradation la race des noirs et tous les hommes qui en descendent et en conservent les caractères distinctifs. Ils viennent d'établir à Philadelphie la Société nationale de l'anti-esclavage : mais ils n'ont point rencontré chez leurs compatriotes, glacés par l'intérêt ou les préjugés, l'appui et les secours nécessaires à l'exécution d'une entreprise gigantesque. Dans cet embarras, ils ont résolu d'appeler à leur aide la Société anglaise de l'anti-esclavage, dont la haute influence et les vastes ressources leur étaient connues. Le comité d'agence a fait valoir auprès des membres de l'association tant et de si puissants motifs. Presque tous ont pensé qu'ils devaient continuer ou, pour mieux dire, reprendre leurs travaux. Ils se sont reconstitués sous le nom de Société anglaise et étrangère pour l'abolition de l'esclavage et de la traite des noirs dans toutes les parties du monde (2). Depuis sa réorganisation, le comité d'agence a appris avec joie que les Sociétés auxiliaires des provinces (auxiliary societies) sont dans les meilleures dispositions. Quelques-unes, ignorant encore la résolution que la Société centrale avait prise, par une inspiration soudaine, s'étaient déclarées permanentes : toutes sont prêtes, comme auparavant, à l'aider du produit de leurs cotisations et à l'appuyer de leur influence. Parmi les villes où elle compte déjà des alliées de ce genre, sont Edimbourg, Glascow, Dalkeith, Birmingham, Bristol, Boston, Bath, Wis (1) Ces sentiments sont exprimés dans plusieurs adresses de la société, que nous nous avons sous les yeux. Nous citerons entre autres celle du 11 mars 1834 : to the anti-slavery associations and the friends of nigro emancipation troughout the united kingdom. (2) british and foreign society for the universal abolition of negro slavery and the slave trade.

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bech
, Longsutton,Chelmsford, Warrington, Bourn, Exeter, Braintree, etc.
La Société nous fait connaître les mesures qui lui paraissent le plus propres à assurer le triomphe universel de la cause de l'émancipation. Des hommes d'une capacité reconnue, et subventionnés par elle, seront envoyés dans les pays étrangers où ils s'efforceront, par l'influence de la parole, d'intéresser la conscience et l'esprit publics à l'affranchissement de la race opprimée. Elle provoquera la création d'associations continentales qui correspondront avec elle et travailleront au même objet. Une série de faits et de documents authentiques, relatifs à l'esclavage et à la traite des noirs, seront recueillis par elle et répandus au moyen de la presse ; pour en redoubler l'effet, elle enverra aussi de tous côtés des adresses et des mémoires basés sur les principes éternels de la religion et de la morale. Enfin elle excitera les différentes sectes religieuses de l'Angleterre à appeler énergiquement sur cette question l'attention et l'intérêt de leurs co-religionnaires des pays étrangers (1). Dans les États-Unis, les efforts de la Société répondront aux obstacles qu'elle aura à vaincre. Elle agira de concert avec la Société nationale de l'anti-esclavage établie à Philadelphie. Un petit nombre d'hommes éprouvés (lecturers), dont l'éloquence et le zèle lui ont déjà été utiles en Angleterre et en Écosse, seront chargés de visiter les principales villes des provinces septentrionales de l'Union pour y faire un véritable cours d'humanité : leurs discours (lectures) auront pour objet de pousser à une coopération active les esprits éclairés, de combattre chez les autres les préjugés de caste et les sophismes de la mauvaise foi, et de démontrer que, considérée même sous un point de vue politique et industriel, l'émancipation des noirs serait fertile en heureux résultats pour les hommes de toutes les conditions et de toutes les couleurs. La Société évalue à quinze cents livres sterling (un peu plus de 37 mille francs) la dépense annuelle qu'elle sera obligée de faire pour l'entretien de ces missionnaires de la philantropie. Elle se flatte qu'au bout de trois années, leurs prédications auront produit des résultats assez généraux pour cesser d'étre nécessaires. Dans le The abolitionist, n. 1, pages 1-4 et 34-37.(1)

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moment où nous écrivons, M. Georges Thompson traverse l'Océan atlantique, honorablement désigné entre tous, par le choix de la Société, pour aller plaider le premier la cause de plusieurs millions d'opprimés.
Une dernière observation trouvera ici sa place. Les îles françaises font partie, comme on le voit, des pays auxquels la Société veut étendre sa sollicitude. Des étrangers vont donc embrasser les intérêts et soutenir les droits des esclaves noirs qui vivent sous le régime de nos lois coloniales : ils s'engagent à se cotiser, à user de tous les moyens et à faire mouvoir tous les ressorts pour assurer leur émancipation. Les Français, qui sont en tête de la civilisation et de l'affranchissement de l'humanité, se laisseront-ils devancer par les Anglais dans cette circonstance ? Se montreront-ils moins avancés et moins généreux que ceux-ci pour une cause qui les regarde personnellement ? Que penserait-on dans l'un et l'autre hémisphère si, lorsqu'il s'agira de prononcer entre le maître et l'esclave, c'est-à-dire entre le droit et l'usurpation, ils se renfermeraient dans une coupable neutralité ? Mais non, nous en sommes convaincus, ils s'empresseront de s'acquitter d'un acte de justice, de remplir un devoir d'humanité : ce seront eux qui prendront l'intérêt le plus vif, la part la plus active à l'abolition de l'esclavage dans les colonies nationales. Ils y seront conduits irrésistiblement par le sens droit, la chaleur de cœur et la passion de l'égalité qui les caractérisent. A. G.
France. Paris AFFAIRE Artaud CONTRE BISSETTE TRIBUNAL DE POLICE CORRECTIONNELLE. - 6e CHAMBRE. PRESIDENCE DE M. PORTALIS. C'est le 30 août, le dernier jour de la défunte année judiciaire, que M. Bissette s'est rendu au palais de Justice, sur l'assignation

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à lui donnée par M. Artaud, de la Martinique Nous devons à nos lecteurs quelques détails sur ce singulier procès.
Une polémique s'était engagée entre M. Bissette et les défenseurs de la legislation des colonies, au sujet des réformes que l'on a débattues et votées dans la session de 1833. C'était du reste une pure discussion historique et philosophique, exempte de toute personnalité. Armé de pièces, de documents et d'autorités irrécusables, M. Bissette, voulant modérer un peu les prétentions des colons blancs, leur haine pour les hommes de couleur, et changer en une salutaire modestie des idées de supériorité peu chrétiennes et peu raisonnables, présenta un tableau véridique de l'origine des colonies. Cette origine n'est point tellement antique qu'on n'en puisse avoir une parfaite connaissance, et elle ne se perd point, comme les sources du Nil, dans les montagnes et dans les nuages. Les flibustiers, les boucaniers et autres non moins recommandables personnages qui s'établirent à Saint-Domingue et aux Antilles, il y a environ 200 ans, sont les souches de noblesse de l'aristocratie coloniale. Sans doute, comme dit le poète, On ne se choisit point son père. Mais il faudrait tâcher alors de ne pas jeter la pierre à son voisin et, autant que possible, de ne mépriser personne. Cette polémique suivait paisiblement son cours lorsqu'elle attira sur les bras à M. Bissette un redoutable adversaire, M. Cicéron, avocat à la Martinique. Ce monsieur, après avoir longuement discuté la nouvelle loi organique des colonies, dans une brochure d'une honnête dimension, voulut bien descendre des hauteurs où il s'était placé et tempérer la sévérité du sujet par des notes remplies d'agrément, où il répandit à pleines mains, en guise de facéties et de choses réjouissantes, l'insulte et la diffamation. En voici quelques échantillons: « Décidément et à tout prix, M. Bissette veut être REMARQUÉ ! Enfin le sieur Bissette, que sans le vouloir nous avons pris par la queue en parcourant son mémoire, comme s'il se fût agi d'aborder une bête venimeuse, etc.. Mais voyez jusqu'où va la naive méchanceté du sieur Bissette! Il est mulâtre, il est bâtard ; en ces qualités, il participe avec nous de la descendance des va-nu-pieds ; et cela ne l'empêche

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pas de dire son mot..... Fi ! du vilain oiseau qui salit son propre nid!..... le nid où la négresse, mère ou grand'-mère de M. Bissette déposa l'oeuf précieux qu'avaient fécondé les plus libertins et crapuleux, sans doute, des voleurs de grand chemin dont il parle!..... Et même n'aurait-il pas un avantage sur nous à cet égard?..... celui de descendre peut-être, à lui seul, de tous les va-nu-pieds ensemble!.....  »
Provoqué d'une façon aussi brutale, M. Bissette devait à M. Cicéron quelques mots de réponse, et c'est ce dont il s'acquitta le 15 mai 1833 : Sa Lettre à Mr Cicéron circulait depuis plus d'un an sans avoir excité aucune réclamation. Une nouvelle édition fut faite au mois de juillet de la présente année, et voilà tout-à-coup que M. Artaud, oncle, à ce qu'il paraît, de M. Cicéron, se plaignit d'être diffamé dans cet écrit et assigna M. Bissette devant la sixième chambre du tribunal de première instance de Paris C'est donc le 50 5 août dernier que M. Artaud, par l'organe de M. Bethmont, venait demander satisfaction de la calomnie dont il se plaignait ; de plus, la suppression et la saisie, partout où elle se trouverait, de la Lettre de M. Bissette, et encore l'affiche du jugement, à Paris et à la Martinique, à je ne sais combien de milliers d'exemplaires. Me Bethmont a donc pris la parole, et, après un exorde cicéronien, il a entamé une longue homélie, bien rythmée, bien retentissante, en l'honneur de son client. Le ton ronflant, le débit emphatique et larmoyant, les phrases phosphoriques de cet avocat ne forment qu'une partie de ses qualités. Cette chaleur passe sou vent dans ses gestes et dans son action oratoire ; alors il se tord, il se noie en des mélancolies incroyables, il se balance comme un roseau agité par le vent ou plutôt comme un palmiste secoué par l'ouragan des Antilles ; puis, planant majestueusement au-dessus de la barre, il s'adresse au tribunal, au ministère public, à M. Bissette, à son adversaire, à l'auditoire, à tout et à tous. Toujours avec la même élégance, il attaque violemment M. Bissette ; il cite, après sa pindarique sortie, le passage suivant de la lettre de M. Bissette à Me Cicéron : « C'est là de la belle et bonne diffamation, convenez-en. Que vous avez de courage contre moi, maître Cicéron, quand dix

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huit cents lieues nous séparent! Mais, à défaut d'autres armes qui me permettent de vous voir de près, je vous réponds par un défi de prouver qu'un seul reproche d'immoralité puisse être adressé à ma respectable mère. Ah! monsieur, que ce n'est pas pour ma mère que je craindrais un appel à l'opinion publique de notre pays, bien que vous prétendiez me faire un reproche de sa couleur. Si la nuance de la peau est une preuve du plus ou du moins de vertus, humiliez-vous devant ses månes! Que ce n'est pas elle, toute mulâtresse qu'elle fut, qui a offert à la société le scandaleux exemple d'une épouse vivant dans un honteux concubinage avec son frère, présentant à tous le spectacle du commerce immoral de l'inceste ; élevant le produit de l'oeuf précieux de ses débauches dans l'habitude de l'injure et de la calomnie ; faisant de l'officine de son complice le théâtre public de ses désordres, et portant le cynisme jusqu'à braver l'opinion, les souvenirs et les regards de la société ! Je ne vous demande pas, monsieur, de respecter la mémoire et les cendres des morts..... c'est encore une vertu qui vous est inconnue, mais je vous engage, dans votre propre intérêt, à ménager le sang qui coule deux fois dans vos veines. »
Me Bethmont lit ce petit morceau avec un superbe accent de douleur et d'indignation, qui fait le plus grand honneur à sa sensibilité. Il s'efforce de démontrer qu'il y a diffamation à l'égard de M. Artaud, bien que son nom ne se trouve pas dans le passage incriminé ; il s'appuie sur une note de la page suivante pour prouver qu'il ne saurait y avoir de doute sur les personnes. Enfin, chose singulière et qu'assurément personne ne lui aurait demandée, Me Bethmont a produit plusieurs pièces et actes de notoriété pour démontrer, suivant lui, l'impossibilité absolue, matérielle, de l'accusation d'immoralité portée contre M. Artaud. Me JULES MAUREL, pour M. Bissette, a répondu que son client n'avait pas même pensé à diffamer M. Artaud ; qu'il ne le connaissait nullement et ne pouvait avoir contre lui aucun motif de haine ; mais que M. Bissette, provoqué sans motif par M. Cicéron, provoqué d'une manière violente, avait répondu à ce dernier sous l'impression d'un juste ressentiment ; que les faits que M. Artaud prétend lui être imputés sont énoncés sans désignation de personnes, et que dès lors c'est M. Artaud qui se diffame lui-même.

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Après les répliques des deux avocats et les conclusions du ministère public, qui s'en est rapporté à la sagesse du tribunal, M. Bissette a pris la parole en ces termes : «  Messieurs, confiant en votre sagesse pour l'adoption des conclusions de mon avocat, je crois devoir cependant ajouter quelques mots à ce qui vous a été dit par lui : la moralité de l'affaire en sera plus appréciable à vos yeux. Les hommes de couleur, aux colonies, vous le savez, messieurs, ont été longtemps opprimés par les colons blancs ; l'abus de la force et d'une justice tout exceptionnelle les a souvent frappés injustement. Parmi les nombreuses victimes de ce système colonial, je porte la preuve ineffaçable de ce que peuvent les préjugés de caste dans ces pays. Oui, messieurs, j'ai été MARQUÉ pour avoir lu une brochure et l'avoir fait lire à deux de mes amis ; et c'est précisément cette MARQUE qui a soulevé en Europe une si vive indignation contre le magistrat si empressé de la faire appliquer par la main du bourreau, en présence d'un pourvoi en cassation qui devait amener une éclatante réformation par des juges imbus eux mêmes des préjugés coloniaux ; c'est cette MARQUE, dont il m'a été fait un ignoble reproche, qui fait ma force et ma gloire devant vous. Vous savez, messieurs, ce que ce reproche m'inspira. À un adversaire étranger à ce point aux sentiments nobles et qui, se croyant tout permis en sa qualité de colon blanc contre un mulâtre, descendait à mon égard et à l'égard des miens jusqu'à la plus basse diffamation, je jugeai qu'il valait mieux n'opposer qu'une simple réponse écrite. Au lieu de le traduire, à plus juste titre que je ne le suis aujourd'hui, devant ce tribunal, j'écrivis la Lettre à Me Ciceron , dans laquelle M. Artaud, après quinze mois de silence, s'est avisé de voir un délit de diffamation contre lui. Je ne dirai qu'un mot. Cette lettre était adressée nominativement à Me Cicéron. Que Me Cicéron paraisse dans la lice, qu'il se plaigne après quinze mois . , qu'il m'appelle devant vous. C'est à lui, à lui seul que je répondrai. Quant à M. Artaud, il doit être en ceci hors de cause, et je ne sais ce qu'il me veut dire. Je ne veux entrer en aucune façon dans la discussion de la plainte de M. Artaud. La prétendue diffamation dont il argue n'est à mes yeux qu'un prétexte de vengeance de caste, et M. Artaud trouvera bon que je lui fasse défaut sur ce terrain.

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Malheureux devant la justice de la caste qui, aux colonies, nous domine et à laquelle appartient M. Artaud, on s'est flatté que je le serais devant des juges européens. Pour moins que ce que j'ai écrit, messieurs, il est tels hommes dans ces malheureuses colonies que les pareils de M. Artaud eussent fait pendre et étrangler jusqu'à ce que mort s'ensuivit. Ces messieurs se sont flattés de trouver auprès de vous une justice facile aux condamnations contre un mulâtre insolent envers un blanc, car tels sont les termes d'un arrêt rendu par la cour de la Martinique ; oubliant qu'à vos yeux cette qualification, dont ils me font un crime, et le souvenir des coups dont ils m'ont frappé, seraient, si j'étais coupable, plus un titre de recommandation qu'une cause de sévérité. Ce n'est pas. avec des juges tels que vous, messieurs, et en une semblable affaire que je puis avoir la moindre appréhension du résultat. J'eusse pu à la rigueur me dispenser de rien ajouter à la plaidoirie de mon avocat, si le peu que je viens de vous dire n'était de nature à éclairer votre religion sur la moralité de ce procès. Messieurs, en terminant la lettre qui fait aujourd'hui l'objet du procès, je disais à celui auquel je répondais qu'il n'était pas possible que, dans une cause qui est toute de morale et de raison, les blancs de la Martinique l'avouassent pour organe . Je dirai aujourd'hui avec bien plus de raison encore : il est impossible que les avocats du barreau français avouent pour confrère un homme qui s'est respecté assez peu pour écrire ce passage : ..... Le nid on la négresse mère ou grand mère de M. Bissette déposa l'oeuf précieux qu'avaient fécondé les plus libertins et crapuleux, sans doute, des voleurs de grand chemin dont il parle !..... Et même, n'aurait-il pas un avantage sur nous à cet égard?..... celui de descendre peut-être, à lui seul, de tous les va-nu-pieds ensemble!» J'ai dit. »
Le tribunal, après une longue délibération, faisant application à M. Bissette des articles 15 et 18 de la loi du 17 mai 1819, mais admettant à son égard de nombreuses circonstances favorables, ne l'a condamné qu'à 25 francs d'amende, sans ordonner la destruction de l'écrit et l'affiche du jugement, demandées avec une grande insistance par la partie plaignante. Me BETHMONT. - J'admets volontiers les circonstances favorables

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à M. Bissette, puisqu'elles résultent de la provocation sous laquelle il écrivait ; mais, comme elles ne détruisent pas la fausseté des faits imputés, je désire qu'il soit ajouté : « mais indépendantes de ce qui regarde M. Artaud. »
M. LE PRÉSIDENT. - Le tribunal a longuement délibéré à cet égard ; mais en admettant vos motifs, il ne peut rien changer à son jugement. Me Bethmont insiste avec chaleur pour que le tribunal modifie les termes de son jugement. Le président réplique à l'avocat que le tribunal, en rédigeant ainsi son jugement, a voulu formellement exprimer une opinion favorable à M. Bissette, résultant de la provocation. M. Bissette salue le tribunal et se retire, laissant Me Bethmont se démener au milieu d'un nombreux auditoire. Les amis de M. Bissette, parmi lesquels on remarque des hommes de lettres, des journalistes et un grand nombre d'hommes de couleur de toutes les contrées, l'entourent et le félicitent. Me Bethmont continue toujours de parler, bien que l'huissier audiencier ait appelé une autre affaire.
TRIBUNAL CIVIL DE LA SEINE (chambre des vacations) PRESIDENCE DE M. FOUQUET. AFFAIRE BOITEL CONTRE CICÉRON Après avoir échoué en police correctionnelle et en cour royale, dans sa plainte au sujet d'un écrit publié contre lui, par le sieur Cicéron, avocat à la Martinique, M. Boitel, ancien secrétaire archiviste de cette colonie, qui avait eu à subir devant les premiers juges le bénéfice interprétatif de la prescription de l'action publique, invoquait en dernier ressort, devant le tribunal civil de la Seine, par l'organe de Me Rabou, son avocat, l'application des dispositions de l'article 42 de la loi du 26 mai 1819, lequel porte que : dans tous les cas, la poursuite à la requête de la partie plaignante peut être intentée devant les juges de son domicile lors que la publication y a été effectuée. On ne conteste point, a-t-il dit, que la publication ait été effectuée à Paris, lieu du domicile

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de M. Boitel. Or, la loi n'établit aucune distinction entre les tribunaux civils et les tribunaux correctionnels ; en saisissant le tribunal civil de la Seine, il a saisi les juges de son domicile.
Me MORET, avocat du sieur Cicéron, soutenait que M. Boitel devait aller plaider à la Martinique ; que son client ne pouvait être ravi à ses juges naturels, et qu'il appartenait au tribunal de cette colonie, où réside le prévenu, de connaître de la moralité de cette cause. Me RABOU a répliqué en disant que M. Boitel a été exclu du territoire colonial en 1831, par délibération du conseil privé de la Martinique, pour avoir admis à sa table des hommes de couleur, et que l'écrit dont il se plaint n'est qu'un des nombreux incidents qu'a soulevés contre sa personne la manifestation de ses principes d'équité en faveur des hommes de couleur et des esclaves. M. POINSOT , avocat du roi, a commenté avec une grande impartialité les moyens invoqués par les deux adversaires, et a conclu, en s'appuyant du texte de la loi, à ce que le tribunal adoptat les motifs de la partie plaignante et déboutât le défendeur de ses prétentions. Le jugement ci-après a été rendu (29 octobre) les parties et le ministère public entendus : Attendu les dispositions formelles de la loi du 26 mai 1829, le tribunal se déclare compétent et retient la cause après vacances pour en connaître au fond, et condamne M Cicéron aux dépens.
RENCONTRE BISSETTE ET CICÉRON. Grossièrement offensé dans une brochure publiée par M. Cicéron, avocat à la Martinique, M. Bissette avait, dans une lettre imprimée, en réponse à cette brochure, vivement exprimé le regret de ne pouvoir en tirer satisfaction immédiatement. Dix-huit mois après, M. Cicéron a jugé à propos de faire dix huit cents lieues uniquement, s'est-il plu à répéter ici, pour venir se mettre à la disposition de M. Bissette ; ce qu'il a fait. M. Bissette l'a provoqué, et une rencontre au sabre s'en est suivie au bois de Vincennes, dans laquelle M. Cicéron a été blessé au bras droit de

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manière à ne pouvoir plus s'en servir ; sur quoi, les adversaires et les témoins se sont séparés.
Quelque temps après, guéri de sa blessure, M. Cicéron, par des motifs qu'il ne nous appartient pas d'apprécier ici, a envoyé deux de ses témoins auprès de M. Bissette pour lui demander la reprise du combat. Cela pouvait convenir aux intérêts de M. Cicéron, mais M. Bissette n'avait que faire de lui complaire en ceci. M. Bissette a donc formellement repoussé la demande de l'avocat colon, et déclaré à ces messieurs qu'ayant mis M. Cicéron hors de combat, il s'était trouvé parfaitement satisfait de ce résultat et était résolu à ne point donner d'autres suites à cette affaire. Cette réponse ayant été transmise à M. Cicéron, celui-ci a cru devoir en appeler à M. Bissette par la publicité. En conséquence, une correspondance s'est établie entre ces deux messieurs dans le seul journal de la capitale qui ait ouvert ses colonnes à M. Cicéron. M. Bissette a persisté par écrit dans la résolution qu'il avait précédemment exprimée de vive voix, ne reconnaissant à personne, comme il l'a fort bien dit, toutes choses d'ailleurs s'étant passées comme il appartient à gens de cœur et d'honneur, le droit d'estimer s'il devait ou non être satisfait, quand il se déclarait tel. Voici la lettre, publiée dans le Figaro du 11 octobre, par laquelle M. Bissette a mis fin aux étranges prétentions de son adversaire : « À M. le rédacteur du Figaro. Paris, 10 octobre 1834. Monsieur, Un mot encore au sujet de la nouvelle lettre de M. Cicéron, publiée par votre numéro d'aujourd'hui : ce sera le dernier. Je ne relèverai pas ici les nombreuses contradictions qui existent entre la première et la seconde lettre de M. Cicéron, c'est pour moi une question vidée. Quelles que puissent être donc à l'avenir les prétentions ou les assertions de M. Cicéron à ce sujet, elles seront pour moi comme si elles n'étaient pas, et je suis bien résolu, monsieur, à lui laisser le champ que vous nous avez si généreusement ouvert, entièrement libre désormais, s'il lui plait de s'y montrer encore. Je le déclare de nouveau, je ne saurais suivre davantage, sur

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quelque terrain que ce soit, hors sur celui de la légitime défense, cet adversaire ou cet ennemi, je ne sais lequel dire.
Je m'en réfère du reste à mes réponses écrites ou verbales ; et sans croire que le public puisse être juge bien compétent d'une affaire personnelle, où les assertions, de part et d'autre, ne sauraient être toujours prises par lui pour ce qu'elles valent, je n'ai nulle raison de ne pas le faire juge aussi de ce différend, quelle que soit la difficulté de l'instruire suffisamment des faits de la cause. Agréez, etc. BISSETTE. »
Du reste, le directeur de ce recueil n'aurait pas entretenu le public de ce démêlé tout personnel, si son adversaire ne lui avait le premier ouvert la voie en recourant à la publicité. On a pu remarquer qu'il n'a même pas été parlé, dans le dernier numéro de la Revue des Colonies, du duel où M. Cicéron a été blessé, tant cela avait paru à M. Bissette peu important pour ses lecteurs.
NOUVELLES DIVERSES. Le Moniteur publie l'ordonnance suivante, en date du 29 octobre : "La démission donnée par M. le maréchal Gérard , président du conseil, ministre secrétaire-d'état au département de la guerre, est acceptée. L'intérim du ministère de la guerre sera rempli par M. de Rigny, ministre des affaires étrangères." - M. Joseph Duton-Inginac, capitaine aide-de-camp du général haitien Inginac, son père, et secrétaire du cabinet du président Boyer, vient de mourir inopinément au Havre, au moment où il se disposait à retourner dans sa patrie. M. Duton-Inginae n'était âgé que de 20 ans. Nous l'avions vu, le jour même de son départ de Paris, plein de santé et de vie. Sa mort prématurée sera una sujet de regrets et de deuil, non seulement pour sa famille, mais encore pour son pays. La République Haitienne fondait les plus justes espérances sur cet honorable citoyen. Ses restes, déposés au Havre dans la chapelle Saint-Roch , seront prochainement

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transportés à Haïti, faible consolation pour sa famille, dont il était tendrement aimé et qui ne s'attend pas sans doute à ne revoir de lui que sa dépouille inanimée.
- Naguère a été posée, à Londres, la première pierre d'un édifice érigé en mémoire de l'abolition de l'esclavage colonial. L'emplacement choisi est dans Fischer-Street, Red-Lion-Square ; l'étage inférieur servira d'école du dimanche, et ordinaire pour les enfants des deux sexes ; l'étage supérieur renfermera douze chambres d'aumônes (alms-rooms); la fondation forme une dépendance de l'église et congrégation baptiste d'Eagle-Street ; ministres : MM. J. Ivimey et Overbury. Une nombreuse assemblée s'est réunie dans le temple, et après le chant de quelques hymnes de Watts, le révérend F. Price, de Devonshire-Square, ouvrit la solennité par la lecture du psaume 126 et prononça une prière d'action de graces. Le révérend J. Ivimey présenta à l'assemblée le révérend W. Knibb, qui a fait des voyages et des efforts inouïs pour la cause de la liberté des pauvres nègres, et qui a parcouru, dans ces pélerinages de charité, plus de neuf cents milles. Après un discours de ce zélé missionnaire, le cortège se forma et l'on se rendit sur le terrain ; là le président de la séance, M. H. Pownal, dans une vive et intéressante allocation, fit l'historique des efforts tentés pour l'abolition de la traite depuis son introduction par les Espagnols, en 1503, jusqu'aux Clarckson et aux Wilberforce. Ensuite un homme de couleur, M. Robert Smith, fut introduit dans le cercle immense des assistants , brisa en morceaux une chaine d'esclave et un de ces épouvantables fouets de charretiers, l'instrument ordinaire du supplice des malheureux noirs, et ces curieux monuments d'un fléau qui va finir furent déposés dans une cavité de la première pierre, pendant que l'assemblée entonnait ces vers d'un cantique : «  Enfants infortunés des rives africaines, Contemplez ces débris de vos dernières chaînes ; Mélez votre voix libre à nos hymnes sacrés, Et bénissez le Dieu qui vous a délivrés, » La pierre fut alors scellée par l'architecte. L'édifice achevé présentera une belle façade, et une inscription, au-dessus de la principale entrée, rappellera le grand événement dont une généreuse charité a voulu perpétuer ainsi la mémoire.

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- On a frappé, en Angleterre, une médaille en mémoire de l'abolition de l'esclavage des noirs. Il est impossible de représenter d'une manière plus ingénieuse et plus saisissante tout à la fois que ne l'a fait M. Davis Birm, et l'horrible condition des nègres dans leur état d'esclavage, et leurs touchantes impressions au moment où, foulant enfin d'un pied libre les instruments de leur torture, ils tournent leurs regards vers le ciel avec une religieuse gratitude. La face de cette médaille représente un nègre contemplant le soleil, ayant les bras ouverts et tenant dans ses mains une chaine brisée ; sous ses pieds se trouve le fouet homicide, dont les lanières ensanglantées sont détachées du manche réduit en pièces. On lit pour exergue : "Ceci a été fait par l'Éternel, et a été une chose merveilleuse devant nos yeux. Psaume CXVIII, v. 25.-1 août 1834 ." Le revers porte: "En commémoration de l'abolition de l'esclavage dans les possessions coloniales de la Grande-Bretagne, sous le règne de Guillaume IV . (Le Semeur.)" - Nous sommes heureux de faire connaître un trait d'une générosité rare, qui honore l'humanité, de la Société britannique et étrangère pour la propagation des saintes écritures (The British and Foreign Bible society). Cette Société vient de voter une somme de 20,000 livres sterling (500,000 francs) pour contribuer à l'instruction religieuse des noirs. On distribuera un exemplaire du Nouveau Testament et un recueil de pseaumnes à tous les esclaves sachant lire qui auront été affranchis le premier jour d'août 1854. Ceux qui n'auront point cette première connaissance n'en participeront pas moins au même bienfait si, étant chefs de familles, ils ont des enfants qui savent lire ou apprennent à lire. Dans un but également louable, la Société pour la distribution des publications religieuses (The Religions tracts society) avait voté l'année dernière pour 400 livres sterling (10,000 franes) d'ouvrages divers destinés à former de petites bibliothèques à l'usage des noirs. Nous apprenons que cette société philantropique a pris récemment la résolution de faire distribuer dans les colonies anglaises un grand nombre d'autres publications, où les esclaves affranchis pourront puiser les connaissances qui conviennent à leur nouvelle condition. - Des lettres de la Barbade , en date du 10 septembre, annon

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cent que la tranquillité la plus parfaite régnait dans cette colonic et dans les îles voisines, y compris Saint-Christophe, où l'on avait craint des désordres. Berbice était aussi dans un état satisfaisant à la date du 1 septembre.
- M. de Scholten, gouverneur des possessions danoises dans les Indes occidentales, a présenté au gouvernement du Danemark un mémoire très étendu sur les mesures à prendre pour opérer l'entière émancipation des noirs qui y sont encore en esclavage ; une commission a été nommée aussitôt pour examiner le plan du gouverneur et pour en faire le plus promptement possible son rapport, afin que M. de Scholten, avant son départ pour se rendre à la colonie de Saint-Thomas, chef-lieu de son gouvernement, puisse recevoir toutes les instructions nécessaires, ou qu'au moins les principes d'après lesquels il aura à agir soient bien établis. - Les feuilles de New-York annoncent que le 24 septembre, à l'occasion d'une ascension de ballons, quelques nègres ont été maltraités et obligés de se soustraire à la fureur sans motif des blancs. Les journaux s'élèvent avec force contre ces actes barbares. - Les journaux de Caracas annoncent un événement terrible qui aurait occasioné la perte presque totale de l'île Sainte-Marthe. Dans les derniers jours de mai, l'éruption d'un volcan affreux, précédée et suivie de 45 secousses d'un tremblement de terre épouvantable, aurait submergé une partie de la ville. La presque totalité des édifices, grands et petits, aurait été détruite. On ne cite que pen de victimes, la population entière ayant eu le temps de se réfugier dans les bois qui garnissent les hauteurs principales. Quelques maisons seulement sont restées debout au milieu de cet amas de ruines. Cette île n'offre plus maintenant que l'aspect de la désolation la plus complète, et ses malheureux habitans n'ont plus d'espoir que dans la pitié qu'ils inspirent et dans la commisération de leurs voisins. - M. Dupetit-Thouars, capitaine de vaisseau, vient d'être chargé d'une mission du gouvernement auprès de la République d'Haiti. Cet officier va prendre le commandement de la corvette la Créole, déjà en rade de Brest . Le brick le Cuirassier fait partie de cette expédition. - Auguste Périnon , homme de couleur de la Martinique,

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près avoir passé avec distinction deux années à l'école Polytechnique, vient d'entrer, sur sa demande, en qualité d'officier dans l'artillerie de la marine. M. Périnon a obtenu son grade au concours. Nous annonçons cette nouvelle avec bonheur à nos jeunes compatriotes de couleur. Qu'ils démentent, par d'honorables travaux et en faisant preuve de capacité dans toutes les carrières, les indignes préjugés de leurs oppresseurs.
Encore un nouveau fleuron à ajouter à la couronne de M. Arsène Nogues . Ce procureur-général vient de faire exécuter, avant le recours en cassation ou en grace, un arrêt de la cour dite d'assises de la Martinique qui condamne à mort deux esclaves accusés d'homicide. Coupables ou non, peu nous importe : le pourvoi était de droit. Ces condamnés ont été pendus et étranglés jusqu'à ce que mort s'en suivit. J'ai rendu compte, dans le dernier numéro de la Revue des Colonies, d'une conversation que j'ai eue avec l'ancien procureur général de la Martinique, qui m'a fait MARQUER, au mépris de mon pourvoi en cassation. Une lettre-circulaire, signée De Lucy, vient d'être publiée ; le signataire déclare que ce qu'il a fait, il a dû le faire. J'ai reproché à l'ancien procureur-général sa conduite à l'occasion de l'exécution précipitée de l'arrêt qui me condamnait, et le fait ignoble d'avoir arraché par menace à ma femme une lettre de consolation que je lui adressais en descendant de l'échafaud, et qu'il brûla après l'avoir lue. Ces actes, je les lui ai reprochés en face ; et il les appelle devoirs accomplis sans passion comme sans faiblesse ! Cet homme est ainsi fait ; cet homme ne sent pas que ce sont là des actes infâmes ; cet homme n'a pas conscience qu'il a été atroce et lâche en 1824 : il prétend ici, à la face d'un peuple civilisé, que ce qu'il a fait, il a dû le faire. Mépris donc et exécration à cet homme ! Exécration et mépris ! BISSETTE

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COLONIES FRANÇAISES. MARTINIQUE On nous écrit de Saint-Pierre, 29 août : Depuis quelques jours, il est arrivé au Fort-Royal une troupe d'artistes dramatiques, laquelle donne des représentations deux fois par semaine. Croiriez-vous que l'entrée de ce spectacle est interdite aux hommes de couleur ? Remarquez bien que ce n'est point une société privée : douze grenadiers du 1er régiment de la marine sont stationnés aux alentours de la salle pour écarter les nègres et les mulâtres. Voilà, mon cher ami, le résultat de la révolution de juillet dans les colonies..... - On nous écrit du Fort-Royal, 1er septembre: Il y a présentement ici une salle de spectacle où, pour exclure les hommes de couleur, on a imaginé de faire des souscriptions parmi les blancs seulement. Les affiches sont envoyées à domicile avec ce titre : "THÉATRE DE SOCIÉTÉ PAR SOUSCRIPTION". Les militaires, de quelque grade que ce soit, y sont admis, et tout ce qui se dit blanc Il faut avouer que le gouverneur n'y est jamais allé, mais il n'a rien fait pour empêcher tout ce manège et le tolère par son silence. Hier une messe en musique a eu lieu ; c'était probablement la fête de Henri V que l'on célébrait sous le masque de saint Louis, patron de la paroisse. Les musiciens bourgeois de la classe blanche, qui ont composé en grande partie l'orchestre, ont en la précaution de s'entendre avec le curé pour qu'il n'y eût pas d'hommes de couleur à cette cérémonie ; c'est ce que je pense, puisque le suisse de la paroisse a forcé ceux qui voulaient entrer à l'église de se retirer et a mis à la porte ceux qui y étaient déjà, et que M. Nelson Didier , homme de couleur, qui est allé après la messe auprès du curé, lui donner connaissance de ce qui lui était arrivé, n'a eu d'autre réponse de ce prêtre que des paroles très dures pour toute la classe de couleur en général ; le curé a répondu,entre autres choses, qu'il se moquait de l'opinion que les hommes de couleur pouvaient avoir de lui, qu'il les foulait aux pieds, etc. Jugez après cela des progrès effrayants que fait la haine de nos ennemis, puis

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qu'elle gagne déjà l'église, où tous les rangs, toutes distinctions, tous les préjugés doivent être fondus dans le même creuset.
GUIANE. Les lettres que nous recevons de Cayenne s'accordent à donner des éloges à la bonne administration de M. Parizet, gouverneur de la Guyane française, par intérim, et il paraît qu'on est loin de regretter le gouverneur Jubelin. « Nos abonnés nous sauront peut-être gré de rapporter ici le portrait fort ressemblant que l'un de nos correspondants nous a transmis de ce gouverneur. Voici comme il s'exprime : M. Jubelin s'est entouré d'une coterie ; il trouve le moyen de violer la loi pour placer ses créatures, et chose étrange et difficile à croire, tout le personnel de la justice, y compris le juge de paix, qui cumule les fonctions incompatibles de chef de la milice, se trouve composé de membres de sa coterie. Dévot et carliste au suprême degré, la vue d'un drapeau tricolore le fait frémir. On pense peut-être en France que les lois qui déclarent tous les citoyens, sans distinction, aptes aux emplois, reçoivent leur exécution dans la colonie : c'est une grande erreur. M. le gouverneur Jubelin a constamment écarté des bureaux de l'administration les hommes de couleur, sous le prétexte qu'ils ne remplissaient pas les conditions voulues par les règlements . Ainsi des hommes intègres et capables sont repoussés, parce qu'ils sont de couleur. Mais M. Jubelin qui s'est montré si rigoureux observateur des règlements envers les hommes de couleur, n'a pas été aussi scrupuleux à l'égard des blancs de sa coterie. Ainsi le jeune Saint Quantin a exercé les fonctions de procureur du roi, sans avoir l'âge requis, ni obtenu des dispenses d'âge, ni prêté serment, ce qui a été un sujet de scandale et de trouble dans ce pays ; ainsi, M. Revoil, ex-avoué, a été nommé juge-auditeur, et au bout de quelques mois conseiller-auditeur provisoire au mépris des lois et ordonnances qui l'exeluent de ces fonctions, M. Revoil n'étant point licencié en droit. Mais M. Revoil est membre de la coterie Jubelin, Gibelin et Vidal, triumvirs, et de plus il a l'honneur de faire tous les vendredis la partie de reversi de M. le gouverneur. Un plaisant a dit que dans un an il serait président de la cour. Il n'y aurait là

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rien d'impossible. Toutes les nominations sont faites sans contrôle. On trompe la religion du ministre en osant lui affirmer qu'il n'y a pas dans la colonie d'hommes réunissant les conditions voulues et qu'il faut alors placer leurs créatures quand même. Cependant nous citerons M. Mosse, avocat-avoué, qui depuis près de dix ans est constamment appelé à siéger à la cour, parce qu'elle est souvent incomplète et que M. Mosse est le premier inscrit sur le tableau des avocats. M. Mosse est très instruit, il est étrange qu'on l'ait laissé dans un parfait oubli ; cela s'explique, il ne fait pas partie de la coterie.
Nous espérons que M. le ministre Jacob repoussera de pareilles intrigues et qu'il nommera à des fonctions aussi importantes que celles de président de la cour, un magistrat métropolitain, étranger aux coteries et qui apportera dans l'exercice de ses fonctions cette indépendance et cette impartialité qui ont caractérisé M. Persegol. P. S.-M. Parizet, qui n'administre que depuis quelques mois, a déjà fait ajouter les hommes de couleur, ayant droit, à la liste des assesseurs, et il vient de faire obtenir une bourse à Paris pour un enfant de couleur. Ceci n'a pas besoin de commentaires, quand on compare ses trois mois d'administration avec les cinq années de M. Jubelin. »
COLONIES ÉTRANGÈRES. JAMAÏQUE L'ordre et la tranquillité continuent de régner dans la colonie ; mais il y a de fréquentes contestations entre les planteurs et les nouveaux apprentis. Il parait que les malentendus ont été causés en grande partie par la proclamation du gouverneur-général, marquis de Sligo, d'après laquelle les apprentis ont cru qu'une demi journée leur appartenait tous les vendredis. Dans divers quartiers, les planteurs s'étaient accordés pour régler d'une manière uniforme les heures de travail. La ville de Kingston a éprouvé, dans la nuit du 7 septembre,

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un assez fort tremblement de terre. La chaleur était excessive de puis quelques jours, le thermomètre avait monté considérablement. À deux heures et demie du matin, le sol commença à éprouver quelques ondulations ; les premières secoussent furent peu fortes, et elles semblaient diminuer graduellement ; mais tout d'un coup on ressentit une secousse très violente. La durée de cet effrayant phénomène fut d'une demi-minute. La ville en a très peu souffert.
ANTIGUE. Dans l'une des chapelles de cette île, le service religieux commença, le 31 juillet, à neuf heures du soir. Des prédications et des chants religieux se succédèrent jusqu'à près de minuit. Quelques minutes avant cette heure solennelle, le ministre engagea les esclaves chrétiens à s'agenouiller et à recevoir en silence, comme de Dieu même, le bienfait de la liberté, dont l'instant suivant allait les mettre en possession. Tous tombèrent à genoux ; leurs mains et leurs coeurs étaient élevés vers Dieu ; des sanglots, qu'ils cherchaient à étouffer, se faisaient entendre de tous côtés ; il leur fut impossible de les retenir au moment où la cloche sonna : chacun de ses douze coups ajoutait à leur émotion. Le ministre indiqua un cantique pour maintenir les esprits dans les pensées religieuses qui les avaient occupés jusque là, et quand il eut été chanté, on se dispersa lentement. Toutes les chappelles étaient pleines à Antigue. Il n'y eut dans toute l'île ni querelles, ni danses, ni excès d'aucun genre. L'heureux accord qui y règne entre les colons et leurs anciens esclaves contribuera puissamment, sous l'influence das convictions chrétiennes, à y rendre facile le changement immense introduit dans l'état social. SAINTE-LUCIE On nous écrit de Castries : Le 1er août, la publication et la mise à exécution du bill d'emancipation ont eu lieu dans cette ile. A l'occasion de cet acte de régénération, une grande messe a été célébrée à l'église paroissiale. Le gouverneur y assistait, accompagné d'un détachement de 23 hommes de troupe et de la musique militaire, seul déploiement de force nécessaire pour opérer un si grand changement dans l'ordre social de cette colonie. Des hourras et des vivats témoi-

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gnaient l'allégresse de la population libre et des nouveaux affranchis. Cette journée s'est passée au milieu de la plus grande tranquillité ; il n'y a pas eu une seule rixe. Le soir la ville était illuminée.
BIBLIOGRAPHIE. PROCÈS DE LA GRAND'ANSE (MARTINIQUE). Mémoire pour les quatre-vingt-treize condamnés, soumis à la cour de cassation, saisie de leur pourvoi, par M. AD. GATINE , avocat à la cour de cassation. Paris , imprimerie de Dezauche, 14, rue du Faubourg-Montmartre, Malheureuse Martinique ! terre privilégiée des supplices ! En 1831, VINGT-SIX conspirateurs pendus en un seul jour ! Aujourd'hui, QUARANTE-UN condamnés à mort en un seul jour, pour conspiration ! Colons imprudents autant qu'inhumains, vous démoralisez l'échafaud. (Page 25.) Telle est l'épigraphe de l'excellent Mémoire préparatoire de M. Gatine pour les condamnés de la Grand'Anse. Cette épouvantable affaire y est historiquement éclaircie de manière à convaincre de l'innocence des prétendus conspirateurs quiconque ne porte pas un cœur de privilégié colon. Il est impossible, après lecture faite du Mémoire de M. Gatine, de n'être pas pénétré d'indignation et de mépris pour la misérable politique de cette poignée de machiavéliques oppresseurs pour qui l'atrocité semble être une maxime de droit public. Non, pas un de nos frères ne subira la peine à laquelle il a été condamné, malgré la présence à Paris de deux de leurs plus implacables ennemis ; nous ne disons pas de leurs juges : les hommes de couleur n'en ont pas à la Martinique. M. Gatine jette à grands traits la lumière sur toute cette prétendue conspiration, à la honte de l'aristocratie blanche de cette île ! " Nous écrivons pour l'histoire, en même temps que pour la défense des condamnés, dit M. Gatine en commençant ; car un pareil procès est un fait social immense, et qui ne passe pas inaperçu dans les annales d'un peuple. Nous garderons la gravité qui sied à une profonde douleur, la modération que n'exclut pas un vif et légitime ressentiment de tant d'immolations, mais aussi la fermeté qu'exige cette défense pour ainsi dire posthume de tant d'hommes condamnés à

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mourir sur l'échaud, dans les bagnes ou dans l'exil, et dont plusieurs, morts déjà dans les prisons, ne verront pas l'issue définitive de ce procès."
Nous ne suivrons pas M. Gatine dans sa lucide exposition des faits ; nous ne redonnerons pas l'historique de cette affaire, suffisamment connue de nos lecteurs. Nous nous bornerons à exprimer ici notre vive reconnaissance au digne avocat, pour la chaleureuse éloquence avec laquelle il s'est porté à la défense d'hommes et d'intérêts qui nous sont chers à tant de titres. Honneur à M. Gatine ! Il a bien compris la mission de ce siècle ! Justice et égalité pour tous, c'est le premier besoin, le premier cri des peuples aujourd'hui. Au reste, l'oppression ne saurait demeurer longtemps encore organisée comme elle l'est à la Martinique. Plus peut-être qu'en tout autre point du globe, elle s'y exerce sur les races déshéritées avec un incroyable mépris du bon droit et de la raison ; cela même est un symptôme de chute prochaine. L'aristocratic coloniale touche à sa dernière heure ; car, pour ne pas périr, elle a besoin de plus de têtes qu'on ne souffrira qu'elle en fasse tomber et de plus de sang qu'elle n'est de force à en verser. Dans un prochain mémoire, M. Gatine exposera les moyens de cassation, qui sont nombreux et font concevoir l'espoir certain d'une juste admission du pourvoi : l'arrêt des juges et parties sera cassé par la justice métropolitaine. Mais quand y aura-t-il une magistrature protectrice aux colonies?
POST-SCRIPTUM. NOUVEAU MINISTÈRE. M. le duc de Bassano , ministre de l'intérieur et président du conseil. M. Bresson, ministre des affaires étrangères. M. le lieutenant-général Bernard, ministre de la guerre. M. Charles Dupin, ministre de la marine et des colonies. M. Teste, ministre du commerce, chargé par intérim de l'instruction publique. M. Passy, ministre des finances. M. Persil conserve le portefeuille de la justice. IMPRIMERIE D'HERHAN, 580, RUE SAINT-DENIS.
Charter of 1814 Charte de 1814 The Charter of 1814 was the written constitution of the Restoration government. The Bourbon Monarchy’s return under Louis XVIII was not a return to absolutism, but rather a constitutional monarchy with an elected legislature in the lower house of parliament (suffrage was highly restricted) and appointed nobles in the upper house. Other aspects of the revolution remained, including civil liberties, religious tolerance, the administrative organization of the state, among others. Müssig, Ulrike, “La Concentration monarchique du pouvoir et la diffusion des modèles constitutionnels français en Europe après 1800,” Revue Historique de Droit Français et Étranger   88, no. 2 (2010). 295–310. http://www.jstor.org/stable/43852557. Stovall, Tyler, Transnational France: The Modern History of A Universal Nation . Avalon, 2015. La Charte de 1814 est le texte constitutionnel du régime de la Restauration. Avec le retour des Bourbons sous Louis XVIII, la monarchie absolue ne renaît pas pour autant : elle devient une monarchie constitutionnelle. Le parlement se compose d’une chambre basse élue (avec un suffrage très restreint) et d’une chambre haute formée de nobles nommés. Certains acquis de la Révolution sont préservés, notamment les libertés civiles, la tolérance religieuse et l’organisation administrative de l’État. Müssig, Ulrike, “La Concentration monarchique du pouvoir et la diffusion des modèles constitutionnels français en Europe après 1800,” Revue Historique de Droit Français et Étranger   88, no. 2 (2010). 295–310. http://www.jstor.org/stable/43852557. Stovall, Tyler, Transnational France: The Modern History of A Universal Nation . Avalon, 2015. Ordinance of 1825 Ordonnance de 1825 One of the Haiti’s main goals after independence, aside from preventing French reinvasion, was securing its economic well-being through formal recognition from the foreign governments it traded with. Negotiations for recognition failed under Dessalines, Pétion and Christophe, as various early independence governments balked at France’s terms and French agents’ continued designs on the land they continue to refer to under the colonial name of Saint-Domingue. President Jean-Pierre Boyer (1818–1843) attempted his own negotiations with France but his hand was ultimately forced when Charles X’s emissary, Baron Mackau, arrived with a military squadron in the harbor of Port-au-Prince with a new ordonnance from the king (dated April 17, 1825). The order stated that Haiti would give France preferential trade status via a reduced customs duty and pay a staggering 150 million francs to compensate French property owners for their “loss.” Boyer signed, under the threat of gunboats, on July 11, 1825. Boyer’s government immediately took out a loan to make their first payment—borrowing 30 million francs from French banks in order to repay the French government for recognition of their independence. The indemnity agreement and the loans had disastrous consequences for the economic and political autonomy of the nation. Economists have estimated the total cost of the indemnity to Haiti over the last 200 years to be at least $21 billion dollars, perhaps as much as $115 billion. https://memoire-esclavage.org/lordonnance-de-charles-x-sur-lindemnite-dhaiti https://esclavage-indemnites.fr/public/Base/1 Blancpain, François, Un siècle de relations financières entre Haïti et la France (1825-1922) . L’Harmattan, 2001. Brière, Jean-François, “L'Emprunt de 1825 dans la dette de l'indépendance haïtienne envers la France,” Journal of Haitian Studies   12, no. 2 (2006). 126–34. Daut, Marlene, “When France Extorted Haiti—The Greatest Heist in History,” The Conversation , June 30, 2020, https://theconversation.com/when-france-extorted-haiti-the-greatest-heist-in-history-137949 Dorigny, Marcel; Bruffaerts, Jean-Claude; Gaillard, Gusti-Klara; and Théodat, Jean-Marie, eds., Haïti-France. Les chaînes de la dette. Le rapport Mackau (1825) . Hémisphères Éditions, 2022. Gaffield, Julia, “The Racialization of International Law after the Haitian Revolution: The Holy See and National Sovereignty,” The American Historical Review   125, no. 3 (2020). 841–868. https://doi.org/10.1093/ahr/rhz1226 Porter, Catherine; Méhout, Constan; Apuzzo, Matt; and Gebrekidan, Selam, “The Ransom,” The New York Times , 20 Mai 2022. L’un des principaux objectifs d’Haïti après son indépendance, en plus de prévenir une éventuelle réinvasion française, est d’assurer sa stabilité économique en obtenant une reconnaissance officielle des gouvernements étrangers avec lesquels elle commerce. Sous Dessalines, Pétion et Christophe, les négociations en ce sens échouent, les premiers gouvernements haïtiens refusant d’accepter les conditions imposées par la France, tandis que les agents français continuent à revendiquer le territoire sous son nom colonial de Saint-Domingue. Le président Jean-Pierre Boyer (1818–1843) entreprend à son tour des négociations avec la France, mais la situation prend un tournant décisif lorsque l’émissaire de Charles X, le baron Mackau, arrive dans le port de Port-au-Prince à la tête d’une escadre militaire, porteur d’une ordonnance royale datée du 17 avril 1825. Celle-ci stipule qu’Haïti doit accorder à la France un statut commercial préférentiel, par le biais d’une réduction des droits de douane, et verser une indemnité de 150 millions de francs pour compenser les propriétaires français de la « perte » de leurs biens. Sous la pression militaire, Boyer signe l’accord le 11 juillet 1825. Afin de s’acquitter du premier paiement, son gouvernement contracte immédiatement un emprunt de 30 millions de francs auprès de banques françaises, destiné à financer la somme exigée par le gouvernement français en échange de la reconnaissance officielle de l’indépendance haïtienne. L'accord d'indemnité et les emprunts contractés ont des conséquences désastreuses sur l'autonomie économique et politique de la nation. Les économistes estiment que le coût total de l'indemnité pour Haïti au cours des 200 dernières années s'élève à au moins 21 milliards de dollars (environ 19,11 milliards d'euros), voire jusqu'à 115 milliards de dollars (environ 104,65 milliards d'euros). Blancpain, François, Un siècle de relations financières entre Haïti et la France (1825-1922) . L’Harmattan, 2001. Brière, Jean-François, “L'Emprunt de 1825 dans la dette de l'indépendance haïtienne envers la France,” Journal of Haitian Studies   12, no. 2 (2006). 126–34. Daut, Marlene, “When France Extorted Haiti—The Greatest Heist in History,” The Conversation , 30 Juin 2020, https://theconversation.com/when-france-extorted-haiti-the-greatest-heist-in-history-137949 Dorigny, Marcel; Bruffaerts, Jean-Claude; Gaillard, Gusti-Klara; et Théodat, Jean-Marie, eds., Haïti-France. Les chaînes de la dette. Le rapport Mackau (1825) . Hémisphères Éditions, 2022. Gaffield, Julia, “The Racialization of International Law after the Haitian Revolution: The Holy See and National Sovereignty,” The American Historical Review   125, no. 3 (2020). 841–868. https://doi.org/10.1093/ahr/rhz1226 Porter, Catherine; Méhout, Constan; Apuzzo, Matt; and Gebrekidan, Selam, “The Ransom,” The New York Times , May 20, 2022. Law of Floréal, Year 10 Loi de floréal, an 10 The loi de floréal an 10 refers to the decree-law (or statuary law) authorizing the slave trade and slavery in the colonies restored by the Treaty of Amiens (Décret-loi autorisant la traite et l'esclavage dans les colonies restituées par le traité d’Amiens). The law, proposed by First Consul Bonaparte and debated by the assemblies, was adopted on May 20, 1802 (30 floréal an 10). The pertinent text of the law is as follows: Article 1: “Dans les colonies restituées à la France en exécution du traité d’Amiens, du 6 germinal an X, l’esclavage sera maintenu conformément aux lois et réglemens antérieures à 1789.”Article 3: “La traite des noirs et leur importation des lesdites colonies, auront lieu, conformément aux lois et règlemens existans avant ladite époque de 1789.” Slavery had been abolished first in Saint Domingue in 1793 by civil commissioners Leger-Félicité Sonthonax and Étienne Polverel. A committee from Saint-Domingue then sailed to France to urge the government to ratify the 1793 proclamations for all French colonies. On February 4, 1794 the Convention proclaimed slavery abolished throughout the Republic. Though applied in Guadeloupe and, eventually, Guyana, the 1794 decree was not applied in Martinique, Saint Lucia or Tobago (then under British occupation) or in the Indian Ocean colonies (which essentially delayed and refused). The Treaty of Amiens signed March 15, 1802 with Great Britain thus restored to France those colonies that had maintained slavery and the slave trade throughout the period of occupation. The May 20 law did not reestablish slavery throughout the French colonies but was nevertheless a stark retreat from the values of 1789: slavery and the slave trade was now legal in the French Republic. A consular order from July 16, 1802 (27 messidor an X) reestablished slavery in Guadeloupe. There is a lack of clarity, both in contemporary scholarship and in the Revue, on the nature of the May 20 decree-law. Scholars often incorrectly cite the law as the date that marks Bonaparte’s reestablishment of slavery throughout the French colonies. Bissette’s exaggerated claim, “Tout le monde sait que la loi de floréal an 10, qui rétablit l’esclavage dans les colonies, fut le signal de la défection de tous les chefs de Saint-Domingue” reveals that this confusion was in place even in 1830s. It also confirms the effectiveness of Bonaparte’s attempts to reestablish slavery under the radar and without fanfare. Nevertheless, Bissette is correct about the consequences of Bonaparte and the Consulate’s pro-slavery machinations in contributing to the anticolonial, antislavery act of Haitian independence. Niort, Jean-François and Richard, Jérémie, “ A propos de la découverte de l’arrêté consulaire du 16 juillet 1802 et du rétablissement de l’ancien ordre colonial (spécialement de l’esclavage) à la Guadeloupe,” Bulletin de la Société d’Histoire de la Guadeloupe no. 152 (2009). 31–59. https://doi.org/10.7202/1036868ar Bénot, Yves and Dorigny, Marcel, eds., Rétablissement de l’esclavage dans les colonies françaises. Aux origines de Haïti . Maisonneuve et Larose, 2003. La loi de floréal an 10 désigne le décret rétablissant officiellement la traite et l’esclavage dans les colonies restituées à la France par le traité d’Amiens. Proposée par le Premier Consul Bonaparte et débattue par les assemblées, elle fut adoptée le 20 mai 1802 (30 floréal an 10). Les articles les plus significatifs en sont les suivants : Article 1 : « Dans les colonies restituées à la France en exécution du traité d’Amiens, du 6 germinal an X, l’esclavage sera maintenu conformément aux lois et réglemens antérieurs à 1789. » Article 3 : « La traite des Noirs et leur importation dans lesdites colonies auront lieu, conformément aux lois et réglemens existants avant ladite époque de 1789. » L’abolition de l’esclavage avait été proclamée pour la première fois à Saint-Domingue en 1793 par les commissaires civils Léger-Félicité Sonthonax et Étienne Polverel. Un comité mandaté par la colonie s’était alors rendu en France pour plaider en faveur d’une généralisation de cette mesure. Le 4 février 1794, la Convention nationale décréta l’abolition de l’esclavage dans l’ensemble de la République. Ce décret fut appliqué en Guadeloupe et, plus tard, en Guyane, mais resta sans effet en Martinique, à Sainte-Lucie et à Tobago, alors sous occupation britannique, ainsi que dans les colonies de l’océan Indien, où son application fut délibérément différée. Le traité d’Amiens, signé avec la Grande-Bretagne le 15 mars 1802, permit à la France de récupérer plusieurs colonies où l’esclavage et la traite avaient été maintenus sous administration britannique. La loi du 20 mai 1802 ne rétablissait pas formellement l’esclavage dans l’ensemble des territoires français, mais elle marquait une rupture avec les principes de 1789 en entérinant la légalité de l’esclavage et de la traite dans certaines colonies. Quelques mois plus tard, un arrêté consulaire du 16 juillet 1802 (27 messidor an X) confirma explicitement le rétablissement de l’esclavage en Guadeloupe. Tant l’historiographie contemporaine que la Revue des Colonies entretiennent une certaine confusion quant à la portée exacte du décret du 20 mai. Nombre d’historiens citent à tort cette loi comme l’acte fondateur du rétablissement de l’esclavage dans toutes les colonies françaises. L’affirmation de Cyrille Bissette—« Tout le monde sait que la loi de floréal an 10, qui rétablit l’esclavage dans les colonies, fut le signal de la défection de tous les chefs de Saint-Domingue »—illustre bien que cette lecture erronée existait déjà dans les années 1830. Elle témoigne également du succès de la stratégie de Bonaparte, qui chercha à rétablir l’esclavage de manière discrète, sans déclaration officielle retentissante. Pourtant, Bissette ne se trompe pas sur les effets des politiques du Consulat : les manœuvres pro-esclavagistes de Bonaparte contribuèrent directement à l’acte d’indépendance haïtien, dont la portée fut à la fois anticoloniale et antiesclavagiste. https://memoire-esclavage.org/napoleon-et-le-retablissement-de-lesclavage/lessentiel-dossier-napoleon-et-le-retablissement-de https://www.portail-esclavage-reunion.fr/documentaires/abolition-de-l-esclavage/l-abolition-de-l-esclavage-a-la-reunion/la-premiere-abolition-de-lesclavage-par-la-france-et-sa-non-application-a-la-reunion/ Niort, Jean-François et Richard, Jérémie, “ A propos de la découverte de l’arrêté consulaire du 16 juillet 1802 et du rétablissement de l’ancien ordre colonial (spécialement de l’esclavage) à la Guadeloupe,” Bulletin de la Société d’Histoire de la Guadeloupe no. 152 (2009). 31–59. https://doi.org/10.7202/1036868ar Bénot, Yves et Dorigny, Marcel, eds., Rétablissement de l’esclavage dans les colonies françaises. Aux origines de Haïti . Maisonneuve et Larose, 2003. Revue Coloniale Revue Coloniale The Revue Coloniale, was an ephemeral monthly periodical, printed in Paris during the year 1838. Its founder Édouard Bouvet and editor Rosemond Beauvallon conceived of it on the model of many similar, contemporaneous publications reporting on political and economic questions of interest to white colonists while also attending to arts and literature, as attested by the journal’s complete title: Revue Coloniale. intérêts des colons : marine, commerce, littérature, beaux-arts, théâtres, modes. In the December 1838 issue of the Revue des Colonies, Cyrille Bissette acknowledges the Revue Coloniale as both an ideological opponent and a competitor in the print market. Fondée par Édouard Bouvet et dirigée par Rosemond Beauvallon, la Revue Coloniale, sous-titrée intérêts des colons : marine, commerce, littérature, beaux-arts, théâtres, modes, souscrit au modèle des revues destinées aux propriétaires coloniaux, rendant compte de l'actualité politique et économique des colonies tout en ménageant une place aux contenus littéraires, culturels et mondains. Dans le numéro de décembre 1838 de la Revue des Colonies, Cyrille Bissette reconnaît en la Revue Coloniale tant un adversaire idéologique qu'un concurrent dans le paysage médiatique. Le Moniteur universel Le Moniteur universel Le Moniteur universel, often simply referred to as the “Le Moniteur” is one of the most frequently referenced nineteenth-century French newspapers. An important cultural signifier, it was referenced frequently in other publications, in fiction, and likely in contemporary discussions. Its title, derived from the verb monere, meaning to warn or advise, gestures at Enlightenment and Revolutionary ideals of intelligent counsel. Initially, Le Moniteur universel was merely a subtitle of the Gazette Nationale, established in 1789 by Charles-Joseph Panckouke, who also published Diderot and d’Alembert’s Encyclopédie. Only in 1811 that the subtitle officially ascended to title. The Moniteur had become the official voice of the consular government in 1799. Under the Empire, it gained the privilege of publishing government acts and official communications, effectively becoming the Empire's primary propaganda outlet. However, its role was not confined to this function. It survived various political regimes, including the Revolution and the death of Panckouke in 1798. Its longevity can be attributed to its adaptability, with its successive iterations reflecting the political culture of each historical stage, transitioning from an encyclopedic model during the Revolution, to a state propaganda tool during the First Empire, to a collection of political speeches under the constitutional monarchy and the Second Republic, and finally, to a daily opinion newspaper for the general public under Napoleon III. During the print run of the Revue des Colonies, the “Moniteur” was divided into two main sections: the “official” and the “unofficial” part. Government documents and official communications were published in the official section, while other current events and various topics were featured in the unofficial section under a range of headings such as “Domestic,” “International,” “Entertainment,” etc. The texts cited in Revue des Colonies were most often found in the unofficial section, typically under the “Domestic” heading and on the front page. Titles containing the label “Moniteur” followed by a toponym abounded throughout the nineteenth century: local or colonial titles used this formula to emphasize their official status, maintaining the distinction between the official and unofficial sections. Laurence Guellec, « Les journaux officiels », La Civilisation du journal (dir. Dominique Kalifa, Philippe Régnier, Marie-Ève Thérenty, Alain Vaillant), Paris, Nouveau Monde, 2011. https://www.retronews.fr/titre-de-presse/gazette-nationale-ou-le-moniteur-universel . Le Moniteur universel, ou « Le Moniteur », est l’un des journaux les plus cités, sous cette forme abrégée et familière, au cours du XIXe siècle : on le retrouve, véritable élément de civilisation, dans la presse, dans les fictions, probablement dans les discussions d’alors. Ce titre, qui renvoie au langage des Lumières et de la Révolution, dérive étymologiquement du verbe monere, signifiant avertir ou conseiller. Il n’est d’abord que le sous-titre de la Gazette nationale, créée en 1789 par Charles-Joseph Panckouke, éditeur entre autres de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert ; ce n’est qu’en 1811 que le sous-titre, Le Moniteur universel, devient officiellement titre. Lancé en 1789, ce périodique devient en 1799 l’organe officiel du gouvernement consulaire ; il obtient ensuite, sous l’Empire, le privilège de la publication des actes du gouvernement et des communications officielles, passant de fait au statut d’« organe de propagande cardinal de l’Empire ». Il ne se limite pourtant pas à cette fonction, et survit aux différents régimes politiques comme il a survécu à la Révolution et à la mort de Panckouke en 1798. Sa survie est notamment liée à sa capacité à changer : les modèles adoptés par sa rédaction, qu'ils soient choisis ou imposés par le pouvoir en place, reflètent de manière révélatrice la culture politique propre à chaque période marquante de son histoire. Ainsi, comme le souligne Laurence Guellec, il se transforme en une grande encyclopédie pendant la Révolution, devient un instrument de propagande étatique sous le Premier Empire, se mue en recueil des discours des orateurs durant la monarchie constitutionnelle et la Seconde République, puis se positionne en tant que quotidien grand public et journal d'opinion sous le règne de Napoléon III. Ajoutons enfin que les titres constitués du syntagme « Moniteur » suivi d’un toponyme sont nombreux, au cours du siècle, en France : les titres locaux ou coloniaux adoptent cette formule pour mettre en exergue leur ancrage officiel, et respectent la distinction entre partie officielle et non officielle. À l’époque de la Revue des Colonies, Le Moniteur universel est organisé en deux grandes parties : la « partie officielle » et la « partie non officielle ». Les actes du gouvernement et les communications officielles, quand il y en a, sont publiés dans la partie officielle, en une – mais parfois en quelques lignes – et les autres textes, tous d’actualité mais aux thèmes divers, paraissent dans la partie non officielle sous des rubriques elles aussi variées : intérieur, nouvelles extérieures, spectacles, etc. Les textes que cite la Revue des Colonies paraissent dans la partie non officielle, le plus souvent sous la rubrique « Intérieur » et en une. Laurence Guellec, « Les journaux officiels », La Civilisation du journal (dir. Dominique Kalifa, Philippe Régnier, Marie-Ève Thérenty, Alain Vaillant), Paris, Nouveau Monde, 2011. https://www.retronews.fr/titre-de-presse/gazette-nationale-ou-le-moniteur-universel .
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ISSN 3067-1280